Des chercheurs ont développé des « nanoblocs » de construction à base d’ADN pouvant s’auto-assembler pour former des structures complexes, tels que des nanoconteneurs et de petits objets nanométriques. La technique s’appuie notamment sur la capacité de pliage naturel de l’ADN pour l’édification de nanostructures polyvalentes et personnalisables. Cela pourrait ouvrir la voie à diverses applications, notamment en biotechnologie et en électronique.
L’ADN constitue un excellent matériau pour l’auto-assemblage de nanostructures grâce à ses sites de liaison spécifiques et à sa facilité de synthèse et de modification chimique. Parmi les approches les plus prometteuses figure « l’origami d’ADN », s’appuyant sur la capacité naturelle des brins à se plier. Les longs échafaudages d’ADN simple brin sont pliés et assemblés en nanostructures réticulées par le biais de brins plus courts faisant office d’agrafes et permettant de former les ADN à double hélice.
Cependant, les applications pratiques des origamis d’ADN sont limitées à mesure que la longueur et la complexité des nanostructures augmentent. Les brins échafaudages utilisés pour le pliage sont généralement limités à 10 000 nucléotides. Des études ont suggéré que l’assemblage de sous-unités d’ADN en origami pourrait être la clé pour surmonter cette limite. Cependant, cette approche présente de faibles rendements pour les nanostructures bidimensionnelles, tandis que celles tridimensionnelles manquent de stabilité.
D’autre part, les approches actuelles reposent généralement sur des liaisons fixes entre les sous-unités de sorte à obtenir un niveau de stabilité élevé. Or, la reconfiguration des nanostructures nécessite un niveau de flexibilité élevé et des modules facilement reprogrammables.
Afin de surmonter ces défis, l’équipe de la Nano Institute de l’Université de Sydney (en Australie) propose des « voxels » d’ADN modulaires disposant de connexions internes et externes pouvant être commutées entre des états inactifs, rigides et flexibles. Les voxels sont tridimensionnels, contrairement aux pixels, qui sont bidimensionnels. Cela permet de concevoir des origamis d’ADN polyvalents capables de s’auto-assembler en structures tridimensionnelles complexes.
Cette polyvalence permettrait de concevoir des nanostructures hautement programmables, adaptées à des fonctions spécifiques. Selon Shelley Wickham de l’Université de Sydney, le coauteur de l’étude : « les résultats ressemblent un peu à ceux obtenus avec Meccano, le jouet d’ingénierie pour enfants, ou à la construction d’un ‘cats cradle’ en forme de chaînes. Mais au lieu d’utiliser du métal ou des cordes à l’échelle macroscopique, nous utilisons la biologie à l’échelle nanométrique pour construire des robots au potentiel énorme. »
Des blocs s’auto-assemblant à l’aide de « velcros » moléculaires
La première étape de l’approche – décrite dans la revue Science Robotics – consiste à fabriquer les voxels à partir d’ADN extrait d’un virus bactériophage. L’ADN a été plié en forme de cylindres afin de former des blocs de construction individuels. Pour former de plus grandes structures, les voxels s’auto-assemblent par le biais de brins synthétiques plus courts agissant comme des sites de liaison programmables et situés au niveau d’emplacements prédéterminés.
Les chercheurs ont synthétisé 300 de ces brins courts ayant tous une séquence unique de sorte à se lier spécifiquement aux parties correspondantes. « Ces sites agissent comme du velcro de différentes couleurs, conçus de manière à ce que seuls les brins de couleurs correspondantes (en fait, des séquences d’ADN complémentaires) puissent se connecter », explique Minh Tri Luu, l’auteur principal de l’étude. Cette approche permet de contrôler avec précision la manière dont les voxels se lient entre eux, offrant ainsi la possibilité de produire des nanostructures personnalisables.
Afin de tester l’efficacité et la précision de leur technique, les chercheurs ont créé plus de 50 structures nanométriques, dont un dragon, un dinosaure et une minuscule carte de l’Australie de seulement 150 nanomètres de large. La complexité de ces structures exige à la fois des pièces compactes et flexibles qui ne peuvent pas s’assembler au hasard. « Nos travaux illustrent le potentiel prometteur de l’origami d’ADN pour concevoir des nanostructures polyvalentes et programmables », indique Luu.
Des applications potentielles en nanomédecine et en électronique
La technologie pourrait être utilisée pour créer des nanoconteneurs pouvant administrer des médicaments de manière ciblée. Il serait notamment possible de les concevoir pour répondre à des signaux biologiques spécifiques (température, pH, taux hormonal, etc.), de sorte que le médicament ne soit délivré qu’une fois au niveau de la région cible. Cette approche pourrait améliorer l’efficacité des traitements tout en minimisant les effets secondaires. Les nanorobots autonomes conçus pour détecter et détruire les cellules cancéreuses seraient aussi une application intéressante.
Les chercheurs étudient actuellement le développement de nouveaux voxels pouvant modifier leurs propriétés en réponse à des stimuli environnementaux. « Ces travaux nous permettent d’imaginer un monde dans lequel les nanorobots peuvent se consacrer à une vaste gamme de tâches, allant du traitement du corps humain à la construction d’appareils électroniques futuristes », explique Wickham.
L’équipe étudie également des techniques de traitement des signaux optiques à faible consommation énergétique. En exploitant les propriétés de l’origami d’ADN, cette approche pourrait améliorer la vitesse et la précision du traitement des signaux optiques, ouvrant ainsi la voie à de nouvelles technologies d’imagerie et de détection.
Vidéo montrant les voxels qui s’auto-assemblent pour former le dinosaure à l’échelle nanométrique :