Plus de 2000 cerveaux humains stockés dans des banques de tissus abandonnent à présent leurs secrets génétiques ! Des analyses du génome ont déjà révélé des centaines de sites où l’ADN tend à différer, entre les personnes ayant ou non une maladie psychiatrique particulière. Mais ces études n’identifient pas des gènes spécifiques coupables, ni ce qu’ils font exactement dans le cerveau.
« Il y avait une sorte de chaînon manquant », explique Daniel Geschwind, neurogénéticien à l’Université de Californie (UC) à Los Angeles. Geschwind, ainsi que d’autres membres du consortium PsychENCODE (financé à hauteur d’environ 50 millions de dollars par les Instituts nationaux de la santé des États-Unis (NIH) à Bethesda, dans le Maryland), ont tenté de combler ce fossé en recherchant les gènes exprimés et où ils se situent. Le consortium se concentre sur les régions régulatrices, qui contrôlent l’expression des gènes codant les protéines, et que des études antérieures ont identifié comme étant des facteurs de risque de maladie psychiatrique.
Les collaborateurs de PsychENCODE ont répertorié les différences d’activité de ces régions régulatrices dans différentes parties du cerveau, à différents stades de développement du cerveau, ainsi dans des cerveaux affectés par différents troubles : principalement la schizophrénie, l’autisme et le trouble bipolaire.
Le résultat de l’étude constitue le tableau le plus complet de l’influence des régions régulatrices sur le cerveau. Dans l’un des nouveaux articles de la recherche, par exemple, les chercheurs décrivent des sites d’ADN dans lesquels une variation d’une séquence, modifie l’expression d’un gène codant une protéine, ailleurs. Avant PsychENCODE, « cette liste comptait moins de 5000 sites » explique Geschwind, « mais les travaux du consortium ont porté ce total à environ 16’000 ».
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« Ces données nous permettent de faire des choses que nous voulions faire depuis un moment », explique Gerome Breen, généticien psychiatrique au King’s College de Londres, qui ne faisait pas partie du consortium, mais qui envisage d’utiliser les données issues, qui sont accessibles au public. Cependant, tous les chercheurs ne sont pas optimistes quant au fait que le nouvel ensemble de données conduise directement à de nouveaux médicaments. Mais beaucoup s’attendent à ce qu’il révèle des indices cruciaux sur le développement de certaines maladies complexes.
Cet immense ensemble de données permet aux chercheurs d’identifier les « modules » du génome, c’est-à-dire des groupes de gènes qui tendent à s’exprimer ensemble et qui ont des fonctions communes. Des modèles uniques d’expression génique, dans un module, pourraient révéler une caractéristique génétique nuancée d’une maladie. Par exemple, des études antérieures ont démontré que l’expression de gènes impliqués dans la signalisation neurale tend à être exceptionnellement faible chez les autistes et, dans une moindre mesure, dans les cas de trouble bipolaire et de schizophrénie.
Mais les données de PsychENCODE ont permis une analyse plus fine ! En effet, les données ont révélé des modules, dont un contenant des gènes qui contrôlent le conditionnement des cellules et la libération de leurs messagers chimiques dans les synapses. Il s’avère que cet ensemble de gènes est particulièrement actif dans la schizophrénie et le trouble bipolaire, mais pas dans l’autisme. Ces détails pourraient donc indiquer des processus cérébraux spécifiques, qui pourraient être d’excellentes cibles pour des thérapies.
« Le nouvel ensemble de données peut également révéler des fenêtres de développement du cerveau lorsque les gènes associés à une maladie semblent avoir le plus d’influence », explique Geetha Senthil, directrice du programme des NIH, qui a coordonné et supervisé PsychENCODE. Bien que les médecins puissent déjà observer quand une maladie semble s’installer par le biais des symptômes du patient, avoir « un indice biologique serait passionnant et utile », explique Senthil.
Le nom du projet, ENCODE (Encyclopedia of DNA Elements – Encyclopédie des éléments de l’ADN), était une quête plus vaste visant à cartographier les régions non codantes du génome humain. Ses premiers résultats, dévoilés en 2012, ont suscité la controverse : en effet, des scientifiques ont contesté l’affirmation de l’équipe, selon laquelle le génome était en grande partie fonctionnel, et se demandaient si les informations du projet valaient l’investissement des NIH.
Dan Graur, généticien de l’évolution à l’Université de Houston au Texas, l’un des critiques les plus virulents d’ENCODE, a également critiqué certains des résultats initiaux de PsychENCODE. Selon lui, le projet cible les troubles psychiatriques qui sont eux-mêmes mal définis. « Si vous prenez quelque chose de vague et que vous le corrélez avec des millions de variations génétiques et épigénétiques, vous obtiendrez une signification statistique qui aura peu de signification biologique », explique-t-il.
Le neurogénéticien Kevin Mitchell du Trinity College Dublin (Irlande) fait écho à certaines des préoccupations de Graur : « Je ne suis pas totalement convaincu que nous en sachions plus aujourd’hui, qu’hier », a-t-il déclaré. Ce dernier doute qu’un profil d’expression génique puisse définir des troubles aussi hétérogènes que la schizophrénie ou l’autisme, ou encore donner de nouvelles informations sur la manière de les traiter. « C’est un travail énorme, très bien intentionné et très bien réalisé. Mais il y a des limites avec ce que l’on peut faire avec la génomique », ajoute-t-il.
Malgré ces critiques, de nombreux chercheurs défendent la valeur du projet : « Je suis sûr que certains chercheurs vont se pencher sur ces premiers articles et dire, … « Où est notre découverte d’un changement de paradigme ? » », annonce Alexander Nord, neurogénéticien chez UC Davis, qui ne fait pas partie du consortium. « L’ensemble des données s’enrichira à mesure que les chercheurs travailleront à son interprétation », a-t-il ajouté.