Un donneur de sperme porteur d’une mutation cancéreuse a permis la naissance d’au moins 197 enfants en Europe

Le sperme du donneur a été vendu à 67 cliniques dans 14 pays européens.

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| Pixabay
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Un donneur de sperme porteur d’une mutation génétique rare augmentant le risque de cancer a contribué à la naissance d’au moins 197 enfants en Europe, selon une enquête d’un groupe de médias européens. Alors que le nombre d’enfants engendrés par don de sperme devrait techniquement être limité en vertu des lois régissant le domaine, le sperme de l’homme a été vendu à 67 cliniques dans 14 pays. Cela met en évidence une limite importante dans la politique de l’Union européenne sur la natalité assistée.

Le Danemark abrite certaines des plus importantes banques de sperme au monde et exporte de nombreux dons dans de nombreux pays. Il n’existe cependant pas de registre recensant le nombre exact d’enfants nés de ces dons, ni de limite précise quant au nombre d’enfants qu’un donneur peut engendrer.

En avril 2020, la Banque européenne de sperme (BES) du Danemark a été alertée qu’un enfant conçu à l’aide de l’un de ses dons de sperme a été diagnostiqué avec un cancer et est porteur de la mutation génétique TP53. Si la version saine de ce gène contribue à empêcher les cellules de devenir cancéreuses, celle mutée augmente le risque de développer des cancers.

Un échantillon des dons concernés, provenant d’un homme connu sous le pseudonyme « Kjeld » et numéroté sous le code 7069, a par la suite été analysé, mais la mutation TP53 n’a pas été détectée. La vente de sperme, suspendue le temps des tests, a alors repris. Mais trois ans plus tard, la banque de sperme a été informée qu’au moins un autre enfant conçu par Kjeld et porteur de la mutation a développé un cancer.

En analysant d’autres échantillons, les responsables sanitaires ont finalement détecté la mutation. Le donneur était un porteur sain de la mutation et ne savait alors pas qu’elle était présente. La vente du sperme de Kjeld a ensuite été bloquée depuis fin octobre 2023. Une récente enquête menée par un groupe de médias européen met en lumière l’étendue des impacts de ces dons et les limites actuelles des réglementations sur la natalité assistée en Europe.

Un système européen fragmenté

Le groupe de médias a suivi le parcours des dons de sperme de Kjeld à travers l’Europe en rassemblant des documents officiels provenant des autorités sanitaires de plusieurs pays. D’après DR Dokumentar, un média danois qui a participé à l’enquête, le sperme du donneur 7069 a été envoyé à 67 cliniques réparties dans 14 pays d’Europe tels que l’Irlande, l’Espagne, l’Allemagne et la Belgique. Les noms des cliniques concernées n’ont pas été divulgués par les autorités sanitaires lors de la remise des documents au journal.

En interrogeant les autorités des pays concernés, les enquêteurs ont découvert que le donneur a commencé à faire don de son sperme en 2005, année au cours de laquelle les banques et les cliniques de fertilité danoises étaient tenues de veiller à ce que chaque donneur n’ait pas plus de 25 enfants. Cependant, malgré cette directive, le sperme de Kjeld a donné naissance à 99 enfants dans des cliniques de fertilité danoises, dont la moitié des enfants sont de nationalité danoise.

Le Danemark a instauré en 2013 une limite supérieure de 12 familles par donneur, mais aucune limite commune n’est établie à l’échelle de l’Europe, a expliqué Jakob Wested, professeur associé de droit de l’innovation en sciences de la vie à l’Université de Copenhague, à DR Dokumentar. Cela signifierait que la totalité du quota de dons a pu être vendu pour un pays, puis à un autre pays et ainsi de suite. L’expert a comparé chaque pays à des silos qui ne communiquent pas correctement entre eux.

Des quotas nationaux aisément contournés

En Belgique par exemple, 38 femmes sont tombées enceintes grâce au donneur 7069, portant à 53 le nombre d’enfants conçus avec ses dons. Or, les cliniques de fertilité belges ne sont normalement pas autorisées à utiliser le même donneur pour plus de six femmes. Si le nombre total identifié par les enquêteurs s’élève actuellement à au moins 197 enfants, il pourrait être encore plus élevé, les autorités sanitaires de tous les pays concernés n’ayant pas fourni d’informations.

On ignore également le nombre d’enfants porteurs de la mutation, celle-ci n’ayant pas été détectée dans tous les échantillons provenant du donneur 7069. Des médecins concernés par le cas des enfants atteints de cancers liés aux dons de sperme ont exprimé leurs inquiétudes lors du dernier congrès de la Société européenne de génétique humaine cette année. Ils ont rapporté avoir identifié 23 enfants porteurs de la variante génétique, dont 10 ont déjà reçu un diagnostic de cancer, selon la BBC, qui a également participé à l’enquête.

Face à ces constats, la BES n’a pas accepté d’être interviewée par les médias mais s’est contentée de fournir des communiqués écrits. D’après elle, le dépassement du nombre de dons s’expliquerait pour des raisons techniques et administratives et que le choix du donneur reviendrait en dernier ressort à chaque famille.

« Avec le recul, nous regrettons le manque de coordination et de systèmes efficaces entre les banques de financement, les cliniques et les autorités sanitaires afin de réduire les risques liés au franchissement des frontières nationales », ont écrit les responsables dans une réponse à DR Dokumentar. « À l’avenir, une meilleure coordination et des systèmes plus performants entre ces acteurs contribueront à garantir le respect des mesures de franchissement des frontières nationales », concluent-ils.

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