Des scientifiques lancent un avertissement après avoir remarqué que la consommation de drogue des festivaliers de Glastonbury avait un impact notable sur la faune aquatique. Les drogues illicites (cocaïne, ecstasy) contenues dans leur urine parviennent jusque dans les rivières proches, où elles menacent la santé des poissons, notamment une espèce protégée d’anguilles.
Le festival de Glastonbury, qui se déroule chaque année fin juin, est l’un des plus grands festivals de musique et d’art du spectacle du monde. Mais lors de la dernière édition, en 2019, qui a réuni près de 203 000 personnes, les festivaliers semblent avoir pris des quantités de drogues particulièrement élevées : en analysant l’eau de la rivière Whitelake située à proximité du site, les scientifiques ont mesuré des concentrations de cocaïne et de MDMA (ecstasy) suffisamment élevées pour nuire aux animaux vivant dans cette eau.
Dans une étude parue ce mois-ci dans Environmental Research, ils rapportent que les charges massiques de MDMA étaient jusqu’à 104 fois plus élevées en aval du site du festival qu’en amont (entre 1,1 et 61,0 mg/h contre 114,7 mg/h) ; cette drogue a atteint son plus haut niveau durant le week-end qui a suivi le festival, avec une concentration de 322 ng/L. « Le rejet de drogues illicites dans la rivière Whitelake à des niveaux dommageables pour l’environnement pendant la période du festival de Glastonbury suggère une source potentielle (et sous-estimée) de contamination de l’environnement », résument les chercheurs.
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Des substances qui menacent la survie des anguilles
Une étude antérieure, publiée en 2018, révélait que des concentrations de cocaïne, même faibles (équivalentes à 20 ng/L), nuisent gravement au développement et à la reproduction de l’anguille d’Europe — considérée aujourd’hui comme une espèce menacée. Ces recherches font état de lésions musculaires squelettiques graves et d’un comportement hyperactif chez les animaux exposés à la drogue. « Il est probable que les anguilles exposées à la cocaïne aient une performance réduite. Par exemple, des branchies altérées pourraient réduire leur capacité respiratoire, un muscle endommagé pourrait réduire leur capacité à nager », expliquait à l’époque Anna Capaldo, auteure principale de l’étude.
Les récentes analyses de l’eau de la rivière Whitelake montrent que la concentration de cocaïne était 40 fois plus élevée en aval du site qu’en amont (entre 1,3 et 4,2 mg/h contre 50,4 mg/h). Les scientifiques pointent du doigt les festivaliers, qui ont pris la mauvaise habitude d’uriner directement par terre, un peu partout sur le site (et non dans les toilettes et urinoirs réservés à cet usage) ; par conséquent, les drogues consommées rejoignent aisément la nappe phréatique. « La proximité immédiate du festival de Glastonbury avec une rivière fait que les drogues libérées par les festivaliers ont peu de temps pour se dégrader dans le sol avant d’entrer dans le fragile écosystème d’eau douce », explique Dan Aberg, l’un des auteurs de l’étude.
En parallèle, les chercheurs ont analysé l’eau d’une rivière voisine, la rivière Redlake, qui elle, ne traverse pas le site du festival. Ils n’ont noté pour cette eau aucun changement significatif dans les concentrations de drogues illicites, ce qui confirme que la pollution constatée dans la rivière Whitelake est bel et bien associée au comportement des festivaliers.
Une pollution cachée et sous-estimée
Informés de cette problématique, les organisateurs du festival avaient mis en place une campagne de prévention avant l’édition 2019, « Don’t pee on the land », pour sensibiliser les visiteurs au fait qu’uriner sur les terres du festival polluait la nappe phréatique et nuisait gravement à la faune locale. Ils ont même précisé que l’Agence pour l’environnement avait le pouvoir de fermer le site si trop de personnes urinent et polluent le site. Il apparaît aujourd’hui que le succès de cette campagne est plutôt mitigé…
Une porte-parole a par ailleurs affirmé au Guardian avoir mis en place un régime d’échantillonnage complet des voies navigables pendant chaque festival, en collaboration avec l’Agence de l’environnement. « L’Agence pour l’environnement n’a soulevé aucune préoccupation après Glastonbury 2019 », a-t-il déclaré. Suite à la publication de l’étude, le porte-parole a désigné la miction publique comme « la plus grande menace pour nos cours d’eau et la faune pour laquelle ils fournissent un habitat », ajoutant que la consommation de drogues illégales n’était pas tolérable sur le festival.
La campagne « Don’t pee on the land » n’a pas réellement porté ses fruits et les auteurs de l’étude ont suggéré d’autres mesures pour limiter le phénomène. Ils ont notamment proposé la mise en place de roselières (des zones végétalisées principalement constituées de roseaux) en bordure de rivière, qui peuvent contribuer à l’épuration naturelle de l’eau. Les plantes comme les roseaux ont en effet la capacité d’assimiler les substances polluantes dans leurs tissus.
L’un des chercheurs, le Dr Christian Dunn, a qualifié les déchets de médicaments et de produits pharmaceutiques de « polluants cachés, malheureusement peu étudiés, mais potentiellement dévastateurs ». Car il faut savoir que les cas de pollution de cours d’eau par les drogues illicites ne sont pas rares, et vont même jusqu’à provoquer un phénomène d’addiction chez les poissons. D’autres études, publiées notamment dans les revues Chemosphere et Water ont déjà mis en évidence le fait que la méthamphétamine pollue les rivières du monde entier, avec des niveaux de concentration compris entre quelques nanogrammes et des dizaines de microgrammes par litre d’eau.