Un étrange effet quantique nommé « blocage de Pauli », prédit il y a 30 ans et découlant du principe d’exclusion de Pauli — présenté pour la première fois en 1925 par le célèbre physicien du même nom, vient d’être démontré pour la première fois en laboratoire. Pour cela, des chercheurs ont refroidi et comprimé un nuage de gaz (à une densité record) pour qu’il diffuse moins de lumière. En poussant cette expérience à l’extrême, il serait théoriquement possible de rendre le nuage de gaz invisible.
L’expérience s’est déroulée dans un laboratoire du Massachusetts Institute of Technology (MIT), dans lequel des chercheurs ont refroidi et comprimé un nuage de lithium gazeux avec des lasers. Les températures et densités atteintes étaient suffisantes pour démontrer le phénomène : la diffusion de lumière au sein du nuage de gaz avait diminué, comme prédit 30 ans auparavant par le célèbre physicien autrichien Wolfgang Pauli.
Il s’agit de la toute première fois que blocage de Pauli a pu être directement démontré. En théorie, si les chercheurs parviennent à refroidir davantage le nuage de gaz pour se rapprocher encore plus du zéro absolu (-273,15 degrés Celsius), celui-ci deviendrait complètement invisible.
Deux autres équipes indépendantes ont également refroidi deux autres gaz, à savoir du gaz de potassium et de strontium, pour démontrer cet effet. Avec le strontium, les chercheurs ont « figé » des atomes excités pour les maintenir plus longtemps dans un état excité, grâce au même phénomène. Les trois articles démontrant le blocage de Pauli ont été publiés le 18 novembre dans la revue Science. En informatique quantique, la technique ayant permis d’obtenir cet effet surprenant pourrait être utilisée pour développer des matériaux diminuant ou supprimant la diffusion de la lumière, afin d’éviter la perte d’informations.
Blocage de Pauli et principe d’exclusion
Le blocage de Pauli est dérivé du principe d’exclusion de Pauli, formulé pour la première fois en 1925. Selon le principe d’exclusion de Pauli, toutes les particules dites fermions (protons, neutrons et électrons) ayant le même état quantique ne peuvent exister dans le même espace. Autrement dit, tous les fermions appartenant à un même système ne peuvent pas se trouver simultanément dans le même état quantique.
« Ce que nous avons observé est une forme très spéciale et simple du blocage de Pauli, qui empêche un atome de faire ce que tous les atomes feraient naturellement : diffuser la lumière », a déclaré dans un communiqué l’auteur principal de l’étude, Wolfgang Ketterle, professeur de physique au MIT. « C’est la première observation claire que cet effet existe, et cela montre un nouveau phénomène en physique ».
Comme il n’existe qu’un nombre fini d’états d’énergie au niveau quantique, cela oblige les électrons des atomes à s’empiler dans des « coquilles » de niveaux d’énergie supérieurs qui orbitent toujours plus loin autour des noyaux atomiques. Il maintient également les électrons d’atomes distincts à l’écart les uns des autres car, selon un article publié en 1967, sans le principe d’exclusion, tous les atomes s’effondreraient ensemble en libérant une énorme quantité d’énergie.
Bien entendu, le principe d’exclusion s’applique également aux atomes dans un gaz. En général, les atomes d’un nuage de gaz ont beaucoup d’espace pour rebondir, ce qui signifie que même s’ils sont des fermions liés par le principe d’exclusion de Pauli, il y a suffisamment de niveaux d’énergie inoccupés dans lesquels ils peuvent « sauter » pour que le principe n’entrave pas significativement leur mouvement. Si l’on envoie un photon (une particule de lumière) dans un nuage de gaz relativement chaud, tout atome qu’il rencontrera sera en mesure d’interagir avec lui, d’absorber son élan entrant, de revenir à un niveau d’énergie différent et de le disperser.
Ralentir les atomes pour les refroidir
Mais si l’on refroidit et compresse un gaz, ce comportement change. Les atomes perdent alors de l’énergie, remplissant tous les états les plus bas disponibles et formant un type de matière appelé « liquide de Fermi ». Les particules sont alors enfermées les unes dans les autres, incapables de monter à des niveaux d’énergie supérieurs ou de descendre à des niveaux inférieurs. À ce stade, elles sont empilées dans des coquilles comme des spectateurs assis dans une salle de concert comble et n’ont nulle part où aller si elles sont touchées, expliquent les chercheurs. Elles sont tellement entassées qu’elles ne sont plus capables d’interagir avec la lumière. La lumière qui leur est envoyée est bloquée par le blocage de Pauli et passe tout simplement au travers.
« Un atome ne peut diffuser un photon (de la lumière) que s’il peut absorber la force de son coup de pied, en se déplaçant vers un autre siège », explique Ketterle. « Si tous les autres sièges sont occupées, il n’a plus la possibilité d’absorber le coup de pied et de diffuser le photon. Ainsi, l’atome devient transparent ».
Mais amener un nuage atomique à cet état est très difficile : il faut non seulement des températures incroyablement basses, mais aussi que les atomes soient comprimés à des densités record. Pour cela, les chercheurs ont réglé les photons d’un faisceau laser de manière à ce qu’ils n’entrent en collision qu’avec des atomes se déplaçant dans la direction opposée à la leur, ce qui a pour effet de ralentir les atomes et, par conséquent, de les refroidir. Ils ont gelé leur nuage de lithium à 20 microkelvins, soit juste au-dessus du zéro absolu, puis ont utilisé un second laser très concentré pour comprimer les atomes jusqu’à une densité record d’environ 1 billiard (1 suivi de 15 zéros) d’atomes par centimètre cube.
Augmenter la stabilité des ordinateurs quantiques
Puis, pour voir à quel point leurs atomes surfondus étaient devenus invisibles, les physiciens ont dirigé un troisième et dernier faisceau laser, soigneusement calibré pour ne pas modifier la température ou la densité du gaz, vers leurs atomes, en utilisant une caméra hypersensible pour compter le nombre de photons diffusés. Comme le prévoyait la théorie, les atomes refroidis et comprimés ont diffusé 38% de lumière en moins que ceux à température ambiante, ce qui les rend nettement moins lumineux.
Maintenant que l’effet de blocage de Pauli a été démontré, les chercheurs expliquent qu’ils pourraient éventuellement l’utiliser pour développer des matériaux diminuant ou supprimant la diffusion de la lumière. Cela serait particulièrement utile pour améliorer l’efficacité des ordinateurs quantiques, qui sont actuellement entravés par la décohérence quantique — la perte d’informations quantiques (transportées par la lumière) dans l’environnement de l’ordinateur. Placer certaines parties des ordinateurs dans un liquide de Fermi pourrait diminuer cette sensibilité et les aider à conserver leurs états quantiques plus longtemps, ce qui augmenterait leur stabilité.