Dans un étrange phénomène de la mécanique quantique appelé « effet tunnel », les particules semblent capables de voyager plus vite que la lumière — ce qui est en contradiction avec la théorie de la relativité d’Einstein. Cependant, des chercheurs suggèrent dans une nouvelle étude que les mesures précédentes montrant ce phénomène sont inexactes et qu’au contraire, il n’existe pas d’énergie supraluminique ni de « tunnellisation instantanée ».
L’effet tunnel quantique est un phénomène au cours duquel une particule peut traverser une barrière énergétique qu’elle ne peut normalement franchir, selon les lois de la physique classique. Cette dernière est notamment régie par des lois strictes.
En revanche, la mécanique quantique n’est pas aussi limitée. Même si son énergie est inférieure au minimum requis pour franchir une barrière, une particule peut la traverser, comme si elle glissait à travers un tunnel, d’où l’appellation « effet tunnel ». Décrit pour la première fois en 1928, cet effet explique de nombreux phénomènes auparavant mystérieux, tels que la désintégration radioactive, ainsi que la manière dont les noyaux d’hydrogène du Soleil sont capables de surmonter leur répulsion mutuelle et de fusionner pour produire de l’énergie. Les supports de stockage à mémoire flash fonctionnent sur le même principe.
Cependant, la vitesse à laquelle les particules traversent les tunnels quantiques fait l’objet de débats. Des chercheurs ont suggéré que pour les particules quantiques, les barrières semblent agir comme des raccourcis. Lorsque les particules y « creusent » des tunnels, leurs déplacements prendraient moins de temps que si les barrières avaient été absentes, ce qui semble contradictoire.
De plus, l’épaisseur des barrières ne semble nullement augmenter le temps nécessaire aux particules pour les traverser. En d’autres termes, les particules se « tunnellisent » plus rapidement que la lumière parcourant la même distance dans un espace vide. Or, la relativité d’Einstein interdit tout déplacement plus rapide que la lumière. Cela a ainsi conduit à la remise en question de certains des aspects fondamentaux de la physique, y compris la définition même du temps.
D’un autre côté, des chercheurs de l’Université technique de Darmstadt (en Allemagne) suggèrent que le temps de tunnellisation quantique n’a peut-être pas été correctement mesuré dans les précédentes expériences. Dans le cadre de leur nouvelle étude, récemment publiée dans la revue Science Advances, ils proposent un nouveau protocole de mesure qui est, selon eux, plus adapté à la nature du tunneling.
De précédentes expériences basées sur la dualité onde-corpuscule
Les précédentes mesures du temps de tunneling se basaient généralement sur la dualité onde-corpuscule, un phénomène selon lequel les particules peuvent se comporter à la fois comme des ondes et des particules. L’effet tunnel mettrait notamment en évidence la nature ondulatoire des particules, lorsqu’elles se déplacent vers une barrière telle une vague d’eau en étant progressivement transformées en paquet d’ondes (une propriété permettant à une particule massive de présenter plusieurs fréquences et longueurs d’onde combinées).
Si le paquet d’ondes entre en contact avec une barrière énergétique, une partie est réfléchie tandis que l’autre la traverse. La hauteur de l’onde (ou de la vague) indique la probabilité que la particule se matérialise à un endroit précis de la barrière après sa tunnellisation. Afin de localiser le point de matérialisation de la particule, les chercheurs se sont basés sur la hauteur la plus élevée atteinte par le paquet d’ondes.
Cependant, « la particule ne suit pas un chemin au sens classique du terme », explique dans un communiqué le coauteur de la nouvelle étude, Enno Giese, de l’Université technique de Darmstadt. De ce fait, « il est impossible de dire exactement où se trouve la particule à un moment donné. Il est donc difficile de se prononcer sur le temps nécessaire pour se rendre d’un point A à un point B », indique-t-il.
Une approche basée sur le modèle temporel d’Einstein
Le nouveau protocole de Giese et son collègue vise à surmonter cet obstacle en se basant sur le modèle temporel d’Einstein, selon lequel le temps se définit tout simplement comme celui mesuré par une horloge. Dans cette vision, ils suggèrent d’utiliser la particule qui se tunnellise comme une horloge, tandis qu’une autre, qui ne se tunnellise pas, sert de référence. En comparant les deux horloges, il serait possible de déterminer à quelle vitesse le temps s’écoule lors de la tunnellisation.
La réalisation de cette approche s’appuie également en partie sur la nature ondulatoire des particules. Leurs oscillations en tant qu’ondes seraient notamment comparables à celle caractérisant une horloge. Les niveaux d’énergie des atomes (utilisés comme horloges) oscilleraient selon certaines fréquences. Ainsi, en les exposant à un faisceau laser, ces niveaux oscilleraient de manière synchronisée, induisant ainsi un fonctionnement de type horloge atomique.Toutefois, l’effet tunnel perturbe légèrement cette synchronisation, qui peut être ajustée par le biais d’une seconde impulsion laser faisant interférer les deux ondes internes de l’atome. La détection de cette interférence permet ensuite d’obtenir une mesure précise du temps écoulé pendant la tunnellisation.
En appliquant le procédé sur le second atome qui ne se tunnellise pas, il est ainsi possible selon les chercheurs de mesurer la différence entre le temps de tunnellisation et de non-tunnellisation. De manière étonnante, les calculs des experts ont révélé que la particule tunnellisée affiche un temps légèrement retardé par rapport à celle non tunnellisée, ce qui contredit les précédentes expériences lui attribuant une vitesse supérieure à celle de la lumière.
Toutefois, la réalisation d’une telle expérience se heurte à des défis majeurs. En effet, le décalage de temps à mesurer serait de l’ordre de 10-26 seconde, ce qui est extrêmement bref, même en considérant les techniques de mesure actuelles. Afin de surmonter ces défis, les experts proposent d’utiliser des nuages d’atomes comme horloges plutôt que des atomes individuels. Il serait également possible d’amplifier l’effet de décalage horaire en augmentant manuellement la fréquence des horloges, facilitant ainsi les mesures.