Depuis le début de la pandémie de COVID-19, plusieurs traitements ont été testés pour aider à lutter contre la maladie. Parmi eux, l’ivermectine, un médicament habituellement utilisé contre les parasitoses, comme la gale. Selon un communiqué de l’Institut Pasteur, cette molécule aiderait à limiter l’inflammation des voies respiratoires et protégerait également contre l’anosmie (perte d’odorat), du moins chez les hamsters. Mais des chercheurs pointent du doigt la plupart des études réalisées sur l’Homme, dont les conclusions reposent sur des données biaisées, voire frauduleuses.
« Plusieurs centaines de milliers de patients ont reçu de l’ivermectine, en s’appuyant sur une base de preuves qui s’est considérablement évaporée sous un examen minutieux », écrivent les chercheurs dans Nature Medicine. Gideon Meyerowitz-Katz, épidémiologiste à l’Université de Wollongong en Nouvelle-Galles du Sud, et ses pairs ont examiné plus d’une douzaine d’études vantant l’efficacité de l’ivermectine tant à titre préventif que curatif. Quatre d’entre elles, rendues publiques, suscitent « de sérieuses inquiétudes », précise l’expert ; plusieurs autres sont encore en cours d’évaluation.
Des chiffres impossibles, des décalages inexplicables entre les mises à jour des registres d’essais et les données démographiques des patients publiées, des délais prétendus qui ne sont pas cohérents avec la véracité de la collecte de données, des faiblesses méthodologiques, voilà tout autant de défauts mis en exergue par cette équipe d’experts lorsqu’ils ont passé au crible les études de leurs confrères. L’efficacité de l’ivermectine contre la COVID-19 n’a jamais été prouvée, pourtant ce médicament est devenu rapidement très populaire.
Des études basées sur de faux patients
La première « fausse » étude sur l’ivermectine a été publiée en preprint quelques mois seulement après le début de la pandémie, en avril 2020, affirmant que ce médicament réduisait la mortalité des patients COVID-19 hospitalisés. Il se trouve que les données avaient été falsifiées et que les patients dont il était question n’existaient même pas. L’article a été retiré du serveur de préimpression, mais la machine était déjà en marche : sur la base de cette étude, le gouvernement péruvien a inclus l’ivermectine dans ses directives thérapeutiques nationales.
Et bien que d’autres études aient souligné que ce médicament n’avait aucun impact significatif sur la charge virale des patients COVID-19 et que d’autres études, à plus large échelle, étaient nécessaires pour évaluer son efficacité, plusieurs pays d’Amérique latine, puis d’autres pays dans le monde, l’ont adopté comme traitement contre la COVID-19. Les États-Unis, le Royaume-Uni, l’Australie ont eux aussi été touchés par le battage médiatique entourant ce médicament. Des politiciens influents et des chercheurs controversés relayent fréquemment des études prétendant soutenir son utilisation.
Mais ces études reposent la plupart du temps sur des données suspectes. Au mois de juillet, The Guardian Australia a ainsi révélé que les résultats d’un essai contrôlé randomisé mené en Égypte avaient été retirés en raison de « préoccupations éthiques ». Ce mois-ci, Buzzfeed News a rapporté qu’une étude argentine affirmant que l’ivermectine « a empêché 100% des infections de COVID-19 » contenait des données suspectes : le nombre, le sexe et l’âge des participants à l’étude étaient incohérents. Un hôpital nommé dans l’étude comme participant aux expériences a déclaré qu’il n’avait aucune trace de cela ! De même, les responsables de la santé de la province de Buenos Aires ont déclaré qu’ils n’avaient aucune trace de l’approbation locale de cette étude.
Un manque de rigueur qui alimente les théories du complot
Cette situation pose plusieurs problèmes majeurs. Pour commencer, les chercheurs souhaitant mener des études rigoureuses sur l’efficacité de cette molécule, notamment en Amérique du Sud, peinent à recruter des participants « vierges » de prise d’ivermectine. C’est notamment le cas du Dr Carlos Chaccour, qui fait des recherches sur cette substance pour sa capacité à contrôler les maladies tropicales depuis plus de 15 ans.
Par ailleurs, cette désinformation contribue largement à alimenter les théories du complot. En effet, le Dr Chaccour reproche aux médias d’avoir attribué la diminution des cas d’infections au Pérou à l’ivermectine plutôt qu’aux mesures de confinement mises en place. Dès lors, il était aisé pour la population d’imaginer que leur gouvernement « cachait » délibérément ce médicament miracle, peu coûteux et largement disponible — donc non rentable pour l’industrie pharmaceutique, du moins pas aussi rentable que de nouveaux traitements. Pourtant, la popularité récente de l’ivermectine a été particulièrement lucrative pour les laboratoires qui la produisent, de même que les sociétés pharmaceutiques qui fabriquent des versions génériques (car la molécule n’est plus brevetée).
Pourquoi des chercheurs ont-ils sciemment pris part à ces études douteuses ? Pour le Dr Chaccour, c’est une question de pression sociale et de prestige. Il explique au Guardian qu’en début de carrière, les chercheurs travaillent parfois jusqu’à « 120 heures par semaine pour moins que le salaire minimum ». « Plus vous publiez, plus l’article est gros, plus la revue qui le publie est reconnue, plus vous vous rapprochez d’un style de vie plus stable et de la reconnaissance des pairs », ajoute-t-il.
Aujourd’hui, l’ivermectine est toujours considérée comme un médicament miracle, et ce, malgré toutes les organisations réputées qui soulignent le manque de preuves solides de son efficacité. En Australie, le National Covid-19 Clinical Evidence Taskforce — un groupe de travail chargé d’élaborer des recommandations pour lutter contre la COVID-19 — ne recommande pas l’utilisation de ce médicament en dehors des essais contrôlés randomisés. De même, l’Organisation mondiale de la santé affirme que « les données actuelles sur l’utilisation de l’ivermectine pour traiter les patients atteints de COVID-19 ne sont pas probantes. En attendant que davantage de données soient disponibles, l’OMS recommande de n’administrer ce médicament que dans le cadre d’essais cliniques ».
Gideon Meyerowitz-Katz et les autres auteurs de l’article publié dans Nature Medicine appellent aujourd’hui à plus de rigueur et estiment qu’il est essentiel de revoir le processus d’évaluation des méta-analyses liées à la COVID-19, qui devrait notamment impliquer un examen attentif systématique des données individuelles (et anonymisées) des patients. « Nous pensons que ce qui s’est passé dans le cas de l’ivermectine justifie notre proposition : une base de preuves mal examinée a soutenu l’administration de millions de doses d’un médicament potentiellement inefficace dans le monde, et pourtant, lorsque ces preuves ont été soumises à un examen numérique très basique, elles se sont effondrées en quelques semaines », concluent-ils.