On le surnomme « glacier de l’apocalypse », et ce n’est pas pour rien. Le glacier de Thwaites, pour citer son véritable nom, inquiète les scientifiques depuis des décennies, et pour cause : il menace de se désagréger après avoir perdu toute adhérence avec le mont sous-marin qui le soutient. Si les chercheurs savent depuis longtemps que cela se produirait un jour ou l’autre, une nouvelle étude estime que des changements majeurs provoqueront cet événement plus tôt que précédemment estimé : d’ici dix ans à peine. La disparition progressive du glacier qui en suivra ainsi que l’effet domino sur la glace environnante engendreront alors une montée spectaculaire du niveau de la mer.
Si le glacier Thwaites est une source d’inquiétude majeure pour les chercheurs, c’est notamment en raison de son rôle clé dans le cycle climatique d’Antarctique. Un rôle clé que l’on peut vite saisir lorsque l’on sait qu’il fait approximativement la moitié de la taille de la France. Actuellement, le glacier perd 50 milliards de tonnes de glace par an, mais ce n’est pas ce chiffre qui inquiète le plus. Si le glacier de l’apocalypse est aussi menaçant, c’est parce qu’il a un effet de soutien important sur l’ensemble de la calotte glaciaire de l’Antarctique occidental.
Une hausse potentielle du niveau de la mer de 3 mètres
Aujourd’hui, une nouvelle étude dirigée par Erin Pettit, glaciologue à l’université d’État de l’Oregon, nous indique que sa désagrégation pourrait débuter d’ici 2030, suite à quoi elle ne fera que s’accélérer. À terme (d’ici quelques centaines d’années), l’élévation de la mer qui résultera de l’effet domino engendré sera probablement de plus de 3 mètres ! Ces nouvelles conclusions ont été présentées le 13 décembre lors d’une réunion de l’American Geophysical Union. Les détails de l’étude, déjà disponibles pour consultation, seront publiés dans la vue The Cryosphere.
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Il faut cependant préciser que cette élévation catastrophique n’est pas certaine. En effet, il s’agit de prévisions et d’estimations comme pour toute autre étude climatique/géologique, mais il ne faut pas oublier que les changements majeurs qui concernent Thwaites et son immense « langue de glace » devraient survenir beaucoup plus tôt que prévu dans le cadre d’études antérieures. Cela soulève donc la question suivante : y a-t-il des influences géophysiques que les scientifiques étudiant ce glacier ignorent encore ? Si tel est le cas, les prévisions actuelles pourraient, elles aussi, être revues à la hausse d’ici quelques années.
Lors de la conférence de presse, Erin Pettit a déclaré que le glacier Thwaites allait bientôt perdre son emprise sur un « point d’ancrage » de 15 kilomètres de long, où son front flottant est maintenu en place par un imposant mont sous-marin. C’est notamment sur ce point que cette nouvelle étude fait la différence, comparativement aux recherches antérieures qui se concentraient sur la vitesse de fonte globale de Thwaites. « On a [déjà constaté] une diminution très importante de la zone de contact [entre le glacier et le mont sous-marin] », a-t-elle déclaré. « Nous prévoyons que si elle continue sur sa tendance actuelle, en utilisant les processus actuels en cours, elle se réduise à un contact quasi nul d’ici une décennie ».
« Il va y avoir un changement spectaculaire dans le front du glacier, probablement en moins d’une décennie », a déclaré lors du même événement Ted Scambos, de l’Université du Colorado Boulder. « Lorsque cela se produira, l’écoulement rapide de Thwaites s’élargira probablement, parce que le renforcement du côté est aura disparu. Cela élargira la partie ‘dangereuse’ du glacier ».
Des prédictions qui se préciseront davantage dans les années à venir
La fonte du glacier de Thwaites est principalement causée par un courant d’eau chaude s’abattant sur sa base, résultant de processus complexes influencés par le réchauffement climatique. Ainsi, il perd progressivement son emprise sur le mont sous-marin stabilisateur depuis 2004 et, pour résumer différemment les résultats présentés dans cette nouvelle étude, cette « connexion » aura disparu d’ici 2030. Erin Pettit prévient toutefois que le processus ne sera probablement pas linéaire. « Il pourrait augmenter plus rapidement ou ralentir et rester stable, et nous pourrions découvrir un autre mode de défaillance », a-t-elle déclaré.
L’une des autres façons dont l’effondrement de Thwaites pourrait s’accélérer est la fracturation, lorsque de grandes fissures se propagent à sa surface. Pettit s’attend à ce que cela se produise dans moins de cinq ans, soit plus tôt que la perte d’adhérence avec le mont sous-marin.
Scambos espère quant à lui qu’un nombre croissant d’observations sur le terrain du mont Thwaites, depuis le haut et le bas, contribuera à améliorer la précision des prédictions concernant l’élévation future du niveau de la mer. Cette augmentation des observations sera permise par l’avancée des technologies impliquées, notamment des véhicules télécommandés, sans oublier une méthode plus simple consistant à équiper des phoques de moniteurs de température et de salinité.
« Comparativement à d’autres scénarios proposés pour la rupture de cette plate-forme glaciaire dans un avenir proche, […] notre analyse soutient fortement que le dégagement de la plate-forme orientale du plancher océanique et la perte subséquente de son intégrité structurelle constituent un mécanisme de rupture à court terme. Nous concluons que le déchaussement dans la prochaine décennie est le scénario le plus probable de déstabilisation régionale, suivi d’une rupture similaire à celle de la langue de glace occidentale », concluent les chercheurs dans leur document.