Le système éducatif devrait permettre à chaque individu d’exploiter pleinement son potentiel, quel que soit son niveau. Pourtant, une étude menée sur plus de 2000 enfants belges montre qu’au primaire, les enfants n’utilisent pas environ un quart de leur potentiel. En d’autres termes, ils obtiennent généralement de moins bons résultats que ce que leur score de QI leur permettrait. Ce phénomène de sous-performance concernerait l’ensemble des enfants, y compris les plus doués.
De précédentes études sur le sujet se concentraient essentiellement sur les faibles performances scolaires (par rapport à la moyenne), mais aucune n’a tenté d’évaluer les sous-performances par rapport à ce que chaque élève était réellement capable de produire. Il est en effet particulièrement difficile d’identifier les élèves sous-performants doués, qui ont généralement des résultats moyens, voire élevés, mais dont les performances restent inférieures à leur potentiel estimé. Des chercheurs de la KU Leuven se sont donc penchés sur la question et proposent une analyse de frontière stochastique pour estimer la sous-performance scolaire des élèves.
La sous-performance scolaire, lorsqu’elle ne résulte pas de troubles de l’apprentissage, « est un gaspillage de talents et de ressources », notent les auteurs de l’étude dans Exceptional Children. En outre, elle peut être positivement associée au risque de décrochage scolaire, ce qui a de graves conséquences en termes de revenus, de santé, d’espérance de vie et de bonheur général. Dans leur étude, ils évaluent le niveau de sous-performance des élèves, puis examinent l’un des facteurs susceptibles d’influencer ces résultats, à savoir la taille de la classe.
Une hétérogénéité « considérable » entre les élèves
Dans le cadre de leur étude, les chercheurs ont suivi les résultats de 2228 élèves dans 168 écoles de la Communauté flamande de Belgique, durant les six années d’enseignement primaire. « L’enseignement primaire en Flandre est un cadre idéal pour étudier la sous-performance scolaire, car il n’y a pas de regroupement ou de suivi des aptitudes dans l’enseignement primaire flamand, ni d’examens standardisés », souligne l’équipe. Ainsi, les enseignants flamands tendent à orienter leur enseignement vers l’élève « moyen » et les plus faibles sont moins incités à améliorer leurs résultats.
Les chercheurs ont modélisé la sous-performance comme l’écart entre les résultats attendus — estimés par rapport au score de QI — et les résultats réels obtenus à des tests de mathématiques (les élèves considérés n’ayant par ailleurs aucun trouble de l’apprentissage). Ils ont tout d’abord mesuré un écart de performance global de 22%, ce qui signifie qu’en moyenne, chaque élève pourrait augmenter son score en mathématiques de 22%. Ils ont ensuite affiné leur modèle en tenant compte de trois paramètres supplémentaires : le sexe, l’origine et le statut socio-économique.
Résultats : les garçons obtiennent des résultats supérieurs à ceux des filles au test de mathématiques, avec un écart-type d’environ 0,43. Le fait d’être d’origine étrangère (ce qui signifie qu’au moins l’un des deux parents est né hors de Belgique) est associé à un score inférieur (écart-type de 0,075). Enfin, un statut socio-économique plus élevé d’un écart-type augmente le score d’environ 0,121 d’écart-type.
L’équipe a ensuite réalisé une autre modélisation en ajoutant le redoublement. Il s’avère que les élèves qui redoublent obtiennent des résultats significativement inférieurs au test de mathématiques d’environ 0,3 écart-type. Enfin, dans un ultime modèle, ils ont tenu compte des caractéristiques des enseignants : le sexe, l’expérience d’enseignement, l’effort et la motivation — estimés par rapport aux heures supplémentaires effectuées. Il apparaît que les performances des élèves sont plus élevées lorsque l’enseignant est un homme et est motivé.
En tenant compte de l’ensemble des paramètres évoqués, la sous-performance moyenne observée est de 23,5%. En d’autres termes, l’élève moyen n’exploite pas environ un quart de son potentiel ! Mais ceci cache « une hétérogénéité considérable entre les élèves » précisent les chercheurs : « Nous constatons que la sous-performance est biaisée vers la droite et varie d’un minimum de 9% à un maximum de 81%. C’est-à-dire qu’il y a une longue queue d’élèves avec des sous-performances considérables ».
Des sous-performances minimales pour les classes de 20 élèves
Les chercheurs ont remarqué que la sous-performance culmine en troisième année (à près de 31%), puis diminue progressivement jusqu’à environ 23% en sixième année. La sous-performance la plus faible (7% environ) est observée en deuxième année. « Ce modèle peut potentiellement s’expliquer par les concepts enseignés à chaque niveau dans le cadre du programme de l’enseignement primaire en Flandre », note l’équipe.
En effet, la première année de l’enseignement primaire se concentre sur l’apprentissage de la lecture, tandis que la deuxième année se concentre sur les calculs. La lecture et les calculs étant des concepts relativement nouveaux pour les élèves, une sous-performance est jugée moins probable. Chez les troisième et quatrième années, il y a en revanche pas mal de répétitions des concepts enseignés précédemment, ce qui provoque une sous-performance due à l’ennui.
La sous-performance semble plus fréquente chez les garçons : les données montrent que la sous-performance moyenne des garçons est d’environ un tiers supérieure à celle des filles. Les élèves d’origine étrangère avaient quant à eux des résultats inférieurs de 5,7 points de pourcentage à ceux des élèves d’origine belge. Les résultats indiquent également que la sous-performance des élèves doués est plus élevée (27,4%) que celle des élèves non doués (22,3%). Ces différences ne sont toutefois pas statistiquement significatives, soulignent les chercheurs.
En revanche, l’équipe a constaté que la taille des classes est un facteur déterminant : les sous-performances minimales ont été observées pour les classes de 20 élèves environ. À l’inverse, elles augmentent pour les classes plus grandes, comme pour les classes plus petites : il se trouve que ces dernières mêlent souvent plusieurs niveaux scolaires, l’enseignant doit donc répartir son attention sur différents groupes ; de même, dans une grande classe, il est plus difficile de fournir un enseignement individualisé.
L’auteur principal de l’étude, le Dr Deni Mazrekaj, appelle les décideurs politiques à tenir compte du fait que les enfants n’exploitent qu’une partie de leur potentiel et signale aux enseignants que même leurs meilleurs élèves pourraient sans doute faire encore mieux.