Afin de pallier la pénurie d’organes, la biologie synthétique évolue afin de pouvoir un jour produire des organes humains fonctionnels. L’année dernière, des chercheurs de l’Université de Virginie étaient parvenus à développer un embryon de souris presque complet, à partir de cellules souches. Cette année, d’autres scientifiques ont réussi à créer des embryons synthétiques complets, dotés d’un tractus intestinal, d’un cerveau primitif et d’un cœur qui bat. Si le taux de réussite est resté faible, le résultat ouvre la voie au développement d’embryoïdes.
Les cellules souches présentent cette capacité à se différencier en tout type cellulaire. Cultivées in vitro (en laboratoire), elles peuvent contribuer aux tissus embryonnaires ou extraembryonnaires après micro-injection dans des embryons de mammifères. Cependant, on ignorait jusqu’ici si les cellules souches cultivées de manière isolée pouvaient donner naissance à des structures entières ressemblant à des embryons.
Pour la première fois, des chercheurs de l’Institut Weizmann en Israël ont découvert que des cellules souches de souris pouvaient s’autoassembler en structures embryonnaires entièrement synthétiques, c’est-à-dire sans nécessiter d’ovule ni de spermatozoïde. La culture a été réalisée en dehors de l’utérus d’une souris femelle, à l’intérieur d’un bioréacteur (appelé « utérus mécanique ») et à partir de cellules souches cultivées dans une boîte de Petri.
Cet utérus mécanique avait déjà été testé l’année dernière par la même équipe de chercheurs, afin de permettre aux embryons naturels de souris de se développer en dehors de l’utérus pendant plusieurs jours. Pour leur nouvelle étude, les chercheurs ont utilisé le même dispositif pour nourrir les cellules souches de souris durant plus d’une semaine, soit environ la moitié de la durée de gestation d’une souris.
95% de correspondance avec un embryon naturel de souris, mais un faible taux de réussite
Les embryons synthétiques se sont développés jusqu’au jour 8,5, dotés d’un tractus intestinal, d’un tube neural, d’un début de cerveau et d’un cœur qui bat ; mais également du placenta et du sac vitellin entourant l’embryon. D’ailleurs, certaines des cellules souches ont été prétraitées avec des produits chimiques qui ont activé des programmes génétiques permettant leur transformation en placenta ou en sac vitellin.
« Nos résultats soulignent le potentiel plastique des cellules pluripotentes naïves à s’auto-organiser et à reconstituer fonctionnellement et modéliser l’embryon entier de mammifères au-delà de la gastrulation [étape précoce du développement embryonnaire] », écrivent les auteurs de l’étude.
Finalement, la plupart des cellules souches n’ont pas réussi à former des structures semblables à celles d’un embryon : 50 amas sur 10 000 se sont développés correctement. Toutefois, les scientifiques se félicitent d’une correspondance à 95% avec un embryon naturel de souris du même âge — après analyses du profil génétique des cellules — et des organes fonctionnels formés.
Vers la culture d’embryons synthétiques humains ?
Le professeur Jacob Hanna, qui a dirigé l’étude, a précisé au Guardian que les embryons synthétiques n’étaient pas de « vrais » embryons, et qu’ils n’avaient pas le potentiel de se développer en animaux vivants, ou du moins qu’ils ne l’avaient pas fait lorsqu’ils avaient été transplantés dans l’utérus de souris femelles. Outre l’intérêt d’étudier comment les cellules souches forment les différents organes de l’embryon en développement (et les possibles maladies), l’avancée ouvre la voie à la culture d’embryons synthétiques humains à partir de cellules souches.
« En Israël et dans de nombreux autres pays, comme les États-Unis et le Royaume-Uni, il est légal de le faire, et nous avons l’approbation éthique pour utiliser des cellules souches pluripotentes induites par l’homme. Il s’agit d’une alternative éthique et technique à l’utilisation d’embryons », a déclaré Hanna à The Guardian.
L’avis sur le sujet est partagé, certains estimant qu’un cadre réglementaire doit avant tout être posé avant de commencer à créer des embryoïdes. C’est le cas du Dr James Briscoe, qui n’a pas participé à la recherche : « Les embryons humains synthétiques ne sont pas une perspective immédiate. Nous en savons moins sur les embryons humains que sur les embryons de souris, et ‘l’inefficacité‘ des embryons synthétiques de souris suggère que la transposition des résultats à l’Homme nécessite des développements supplémentaires ».