Au cours des dernières années, les différentes recherches menées en épigénétique ont montré la relation directe entre l’environnement et le génome, et la manière dont le premier influence de diverses manières le second. Si les scientifiques savaient déjà que le facteur environnemental intervient dans les mécanismes génétiques adaptatifs et dans différents mécanismes cognitifs, une nouvelle étude suggère qu’il agirait également sur l’intelligence « innée » des individus.
De précédentes études ont déjà révélé que de nombreux gènes interviennent dans la modulation du quotient intellectuel et que certaines expériences, traumatiques ou non, peuvent directement agir sur l’activation ou l’inactivation de certains gènes. Cependant, le lien direct entre environnement et intelligence n’avait pas encore été démontré.
Une équipe de neurologues de l’université de médecine Charité à Berlin a analysé les caractéristiques de différents gènes au sein d’un groupe d’adolescents en bonne santé, et ont comparé les données recueillies à des scores d’intelligence ainsi qu’à divers traits neurologiques.
Avec seulement 1475 volontaires, les chercheurs ont dû précisément cibler un groupe de gènes intervenant dans l’anticipation de la récompense, situés dans la partie du cerveau impliquée dans la prise de décisions : le striatum, composé du noyau caudé, du putamen et du striatum ventral.
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Les scientifiques ont trouvé une forte corrélation entre la modification épigénétique d’un gène particulier et le QI global, suggérant ainsi que, non seulement les expériences personnelles et relationnelles affectent le câblage neuronal, mais également des mécanismes génétiques impliqués dans des processus complexes comme l’intelligence. Les résultats ont été publiés dans la revue Translational Psychiatry.
L’épigénétique est un domaine important car elle permet de mieux comprendre l’interaction entre les fonctions génétiques et les modifications environnementales. Par exemple, en cas de stress persistant ou de traumatisme, des changements physiologiques peuvent conduire à la méthylation (ajout d’un groupe méthyle) de certains gènes pour les inactiver. Ou, au contraire, à la déméthylation de ces mêmes gènes pour les activer.
Et ces modifications génétiques peuvent avoir de sérieuses répercussions sur le développement de l’individu. Elles peuvent agir sur le système immunitaire, le système digestif, et même directement sur des processus cognitifs comme l’apprentissage. Dans leur expérience, les auteurs ont découvert que lorsqu’un gène particulier, nommé DRD2, est inactivé, le QI chute.
Ce gène est ordinairement impliqué dans la structure du récepteur à la dopamine. Lorsque ce gène est muté ou inactif, il conduit généralement à divers troubles neuromusculaires. Mais modifié de manière localisée dans le striatum, les conséquences sont moins importantes, limitant la communication liée à la motivation et à la planification des événements ou des actions.
Les résultats ont montré que la matière grise du striatum, chez les individus possédant un gène DRD2 modifié, est moins dense que chez les individus possédant un gène DRD2 non-altéré. Toutefois, il est impossible de connaître l’origine de cette modification épigénétique. Le stress durant l’enfance est connu pour affecter la cognition durant l’adolescence.
Un changement épigénétique isolé ne peut à lui seul transformer l’évolution d’un individu, notamment au niveau intellectuel, mais participe d’une manière non-négligeable à cette évolution. Certaines modifications épigénétiques, lorsqu’elles sont localisées dans des tissus spécifiques, peuvent être transmises sur plusieurs générations.
« L’épigénétique rejoint ainsi le rang des facteurs connus pour influencer les performances aux tests de QI, comme la pauvreté et la constitution génétique » explique Jakob Kaminski, neurologue et principal auteur de l’étude. « Dans cette étude, nous avons pu observer comment les différences individuelles dans les résultats aux tests de QI sont liées aux changements épigénétiques et aux différences d’activité cérébrale, tous deux influencés par l’environnement ».
La question de l’intelligence ne fait toujours pas consensus au sein de la communauté scientifique, les outils utilisés ou les interprétations des études étant souvent critiqués. La question de la définition de l’intelligence et de comment celle-ci est influencée (hérédité, construction individuelle, éducation, etc) est loin d’avoir obtenu toutes ses réponses. Toutefois, ces résultats montrent une nouvelle fois la nécessité de prendre en compte l’impact de l’épigénétique sur les individus.