Un univers en contraction : le Big Crunch
Introduite dès le début du XXème siècle par Friedmann puis Lemaître, l’idée d’un univers qui se contracterait après l’arrêt de son expansion a continué d’être sérieusement considérée par les physiciens dans le cas où notre univers serait de type « fermé ». En effet, dans un tel univers, la densité moyenne est nettement supérieure à la densité critique, si bien que sous l’effet de la gravité, l’expansion finit par ralentir et s’arrêter, provoquant la contraction de l’univers et finalement son effondrement : c’est le modèle du Big Crunch ou « Grand Effondrement » en français.
Les effets du Big Crunch ne commenceront à émerger que d’ici 55 à 65 milliards d’années, selon les travaux du cosmologiste Martin Rees (Université de Cambridge), spécialiste de la structure à grande échelle de l’univers. Comme pour les autres scénarios, le Big Crunch se déroule en plusieurs étapes.
L’arrêt de l’expansion (~55 milliards d’années après le Big Bang)
Conformément aux équations de Friedmann, l’expansion de l’univers ralentit progressivement sous l’effet de la gravité prépondérante. Les galaxies les plus lointaines continuent de s’éloigner tandis que les galaxies proches ralentissent de plus en plus. Puis la gravité finit par compenser l’expansion, aboutissant sur un univers statique tel que décrit en 1917 par Einstein. Les galaxies s’immobilisent et ne sont plus caractérisées par un spectre d’éloignement mais par un spectre statique.
Le début de la contraction (~70 milliards d’années après le Big Bang)
Les galaxies autrefois éloignées commencent à se rapprocher progressivement les unes des autres. Nos télescopes ne perçoivent plus le décalage vers le rouge (redshift) galactique traditionnel de l’expansion mais un décalage vers le bleu (blueshift), traduisant un rapprochement des grandes structures. La galaxies lointaines qui étaient au-delà de l’horizon cosmologique reviennent à portée de nos moyens d’observation. Le nombre de galaxies visibles s’agrandit exponentiellement.
Les nuages galactiques de poussière et de gaz s’agglomèrent et se condensent, augmentant considérablement le taux de formation d’étoiles dans les galaxies ; les étoiles deviennent visibles en plein jour. À cause du trop grand nombre d’étoiles, les collisions stellaires se produisent en masse, conduisant à la formation de multiples trous noirs stellaires et supermassifs. Les autres étoiles épargnées par les fusions et les collisions épuisent leur combustible, refroidissent et deviennent des naines noires, des étoiles à neutrons ou des trous noirs. La température de l’univers ne cesse d’augmenter.
La contraction (~73 milliards d’années après le Big Bang)
La température atteint 27°C et l’univers est 1200 fois plus petit que sa taille actuelle. Les trous noirs stellaires fusionnent pour former des trous noirs supermassifs, qui fusionnent à leur tour pour former des trous noirs hypermassifs. Les galaxies entrent en collision et sont soit détruites par les trous noirs hypermassifs, soit fusionnent pour créer d’autres trous noirs hypermassifs. La température passe à 730°C puis rapidement à 9800°C.
À une telle température, l’énergie de ionisation est atteinte et la matière baryonique se désagrège ; les noyaux atomiques et les électrons se séparent. L’univers revient alors à une période semblable à celle qu’il a connu durant 380’000 ans après le Big Bang, avant l’émission du fond diffus cosmologique. Les photons ne peuvent plus circuler librement, constamment piégés par les électrons.
Puis la température atteint 1’000’000°C, tous les corps astrophysiques restants sont désintégrés sous l’effet d’une telle énergie. L’univers n’est plus qu’une soupe de neutrinos, protons et photons. Sous le rétrécissement de l’univers toujours plus important, le rayonnement est décalé jusqu’à atteindre le spectre gamma. La taille de l’univers entier passe sous la barre des 1015 années-lumière.
L’effondrement (~75 milliards d’années après le Big Bang)
La taille de l’univers passe sous la barre des 10 millions de kilomètres. La température atteint 15 milliards de °C, les trous noirs hypermassifs atteignent leur masse critique sous l’absorption ininterrompue de rayonnement jusqu’à littéralement exploser, émettant des flashs aveuglants illuminant l’univers. L’univers est alors rempli d’un plasma de quarks-gluons.
Une fraction de seconde avant l’effondrement, sous l’effet de l’énergie phénoménale baignant l’univers, les quatre interactions fondamentales se recombinent et s’unifient. La dimension temporelle se transforme en dimension spatiale. Les dimensions s’enroulent sur elles-mêmes, détruisant peu à peu l’espace-temps jusqu’à ce que l’univers revienne finalement à l’état de singularité.
À l’heure actuelle, le modèle du Big Crunch apparaît comme un scénario peu probable aux yeux des cosmologistes. En effet, avec la découverte de l’accélération de l’expansion en 1998, combinée aux différentes observations indiquant une courbure nulle pour notre univers, aucun signe ne va dans le sens d’un ralentissement et d’un arrêt de l’expansion. Mais peu probable ne signifie pas pour autant improbable. La nature de l’énergie sombre est encore inconnue et les quantités permettant de définir la courbure de l’univers, la densité moyenne et la densité critique, sont encore trop imprécises pour écarter définitivement le Big Crunch.
Un univers cyclique : le Big Bounce
Au début des années 1930, le chanoine Georges Lemaître émet l’hypothèse que l’univers pourrait suivre des phases alternées d’expansion et de contraction. Il donne le nom d’« univers phœnix » à son modèle. Plus tard, cette hypothèse sera reprise et approfondie par des physiciens comme R. Tolman, W. de Sitter, S. Hawking, M. Bojowald ou encore C. Rovelli. Ainsi, notre univers pourrait être le premier, le second voire peut-être même le dernier d’une série de Big Bangs et de Big Crunch (10). Ce modèle est souvent présenté comme une alternative au mécanisme de l’inflation.
Le modèle du Big Bounce est une hypothèse fondamentale de la gravitation quantique à boucles (théorie à gravité quantique), et c’est donc celle-ci qui actuellement en explique le mécanisme de manière la plus rigoureuse. Cette théorie considère que les unités de Planck, notamment la température de Planck, la densité de Planck ainsi que la longueur de Planck, sont des unités « absolues » constituant une limite fondamentale intrinsèque de l’espace-temps quantique lui-même (11).
Partant de ce postulat, un Big Crunch ne peut dès lors pas aboutir à une singularité. Lors d’un Big Crunch, la phase de contraction de l’univers se poursuit jusqu’à atteindre la densité, la température et la longueur de Planck. Dès lors, en se heurtant à ses valeurs, la contraction ne peut se poursuivre jusqu’à la singularité. Au lieu de cela, l’univers, sous l’effet quantique de la gravité, subit un rebond et un nouveau Big Bang est déclenché (11).
De récents travaux ont démontré que le modèle du Big Bounce émergeait naturellement de certains modèles cosmologiques viables basés sur la relativité générale et offrait une explication satisfaisante au principe cosmologique ne nécessitant pas d’inflation (12). D’autres travaux en théorie quantique à boucles, basés sur les lois de conservation de la mécanique quantique, suggèrent qu’il est possible de retrouver des « traces » des univers précédents dans notre univers actuel (13).
Bien que le Big Bounce soit une hypothèse fondamentale de certains modèles cosmologiques actuels, la phase de contraction qu’il incorpore souffre des mêmes « critiques » adressées au Big Crunch, puisqu’aucune théorie n’explique rigoureusement comment une telle phase de contraction peut prendre place dans un contexte d’expansion accélérée.