Une éruption volcanique survenue vers le milieu du XIVe siècle pourrait avoir déclenché la propagation de la peste noire en Europe, selon une étude récente. Elle aurait entraîné une chute temporaire des températures en Méditerranée, au point que les populations ont dû importer massivement des vivres pour échapper à la famine. Les navires chargés de ces cargaisons auraient également convoyé la bactérie de la peste, transportée par des puces nichées dans les denrées, facilitant la diffusion rapide de la maladie dans les ports italiens.
Considérée comme l’une des plus grandes catastrophes des temps prémodernes, la peste noire a éradiqué entre 30 et 60% de la population de certaines régions d’Europe entre 1347 et 1353. Première vague de la seconde pandémie mondiale de peste, elle a profondément bouleversé la démographie, l’économie, la politique et la culture du continent, y compris dans l’ensemble du bassin méditerranéen.
Trois grandes pandémies sont documentées : la peste justinienne (de 541 à la seconde moitié du VIIIe siècle), la seconde pandémie, qui a débuté vers 1338 en Asie centrale et qui s’est étendue jusqu’aux régions méditerranéennes et en Europe jusqu’au début du XIXe siècle, et la troisième pandémie, longtemps située dans les années 1770 en Chine mais aujourd’hui généralement datée du milieu du XIXᵉ siècle.
Introduite en Europe en 1347 à partir des ports italiens, la peste noire conserve toutefois une part de mystère : si sa chronologie est solidement établie, les raisons de son arrivée à ce moment précis depuis la mer Noire demeurent débattues. Des indices archéologiques, historiques et génomiques suggèrent que Yersinia pestis, la bactérie responsable, aurait émergé dans les monts Tian Shan, à l’ouest du lac Issyk-Koul, dans l’actuel Kirghizistan.
Une souche distincte aurait ensuite circulé le long des anciennes routes commerciales pour atteindre l’Europe depuis les rivages de la mer Noire au début des années 1340. Hypothèse encore discutée, car elle néglige certaines voies de transmission possibles, notamment la transmission interhumaine. D’autres propositions, parfois controversées, invoquent des facteurs climatiques ou environnementaux.
Dans une étude publiée jeudi 4 décembre dans Communication Earth & Environment, des chercheurs de l’Université de Cambridge et de l’Institut Leibniz d’histoire et de culture de l’Europe orientale avancent qu’une éruption volcanique aurait pu amorcer une réaction en chaîne propice à l’introduction de la peste noire en Méditerranée.
« Nous démontrons ici que des recherches interdisciplinaires sur les interactions complexes entre météorologie, climat, écologie et société, bien antérieures à la Peste noire, sont essentielles pour comprendre l’ampleur exceptionnelle de sa propagation et de sa virulence, qui ont rendu la première vague de la seconde pandémie de peste si meurtrière », écrivent-ils.
Une éruption volcanique déclenchant famine et maladie
L’analyse d’archives contemporaines fait état d’une baisse de l’ensoleillement, d’une augmentation de la couverture nuageuse et d’une éclipse lunaire singulièrement sombre entre 1345 et 1349 en Asie et en Europe, autant de phénomènes attribuables à la dispersion d’aérosols volcaniques.
Des données paléoclimatiques indiquant des quantités élevées de soufre dans les carottes de glace polaires suggèrent également qu’une ou plusieurs éruptions volcaniques sont survenues en 1345. Des concentrations similaires de sulfates ont été retrouvées dans les échantillons prélevés aux deux pôles, laissant penser à une éruption tropicale.
Selon les auteurs, la réduction de l’ensoleillement provoquée par ces aérosols aurait généré des vagues de froid sur une grande partie de l’Europe et de la Méditerranée, entraînant une chute marquée des rendements agricoles. Les États se seraient alors trouvés contraints d’importer massivement des denrées pour parer la famine.
Mais « à leur retour dans la seconde moitié de l’année 1347, les flottes commerciales italiennes ont non seulement ramené des céréales dans les ports méditerranéens, mais ont également transporté la bactérie de la peste Yersinia pestis, très probablement par le biais de puces qui se nourrissaient de poussière de céréales durant leur long voyage », écrivent les chercheurs.

Une rare combinaison de facteurs à court et long terme
L’étude des données dendrochronologiques collectées en Europe révèle des étés anormalement froids en 1345, 1346 et 1347. Les automnes, plus humides, ont provoqué érosion et inondations à répétition. Les archives historiques confirment que ces conditions coïncident avec une forte baisse des rendements viticoles et céréaliers en Italie. Les importations qui ont suivi ont sauvé une partie du continent de la disette, mais auraient aussi introduit la maladie. Les premiers cas de peste chez l’humain auraient été signalés à Venise quelques semaines seulement après l’arrivée des derniers navires céréaliers.
« Cela déclenche le cycle d’infection typique », explique Martin Bauch, auteur principal de l’étude, à Live Science. « Les populations de rongeurs sont infectées en premier ; une fois qu’elles disparaissent, les puces se transmettent à d’autres mammifères et finalement à l’homme », poursuit-il.
Dans l’ensemble, les données indiquent que la peste noire n’a pas résulté d’un événement isolé, mais d’une convergence aléatoire de facteurs à court terme — notamment climatiques — et de facteurs structurels à long terme tels que le système d’importation méditerranéen.
La compréhension des mécanismes susceptibles d’engendrer des pandémies aussi dévastatrices que la peste noire est essentielle, car elle pourrait fournir des éléments utiles à l’élaboration de stratégies de prévention, d’autant que la probabilité de voir émerger des maladies zoonotiques capables de se transformer en pandémies est susceptible d’augmenter avec le réchauffement climatique.

