L’état de conscience serait lié à une configuration spécifique de la «chambre interne» du cerveau

Sous anesthésie générale, le thalamus présenterait une chute drastique de l’activité d’un groupe de cellules spécifique.

conscience chambre interne cerveau
| Pixabay
⇧ [VIDÉO]   Vous pourriez aussi aimer ce contenu partenaire

En utilisant du propofol, un anesthésique général courant, des chercheurs ont identifié la configuration cérébrale menant à la transition vers l’état d’inconscience. Sous sédation profonde, le thalamus (la chambre interne du cerveau) présenterait une chute drastique de l’activité des groupes de cellules responsables du traitement transmodal – le processus régissant l’intégration des informations sensorielles. Cette découverte pourrait avoir d’importantes implications dans de nombreux domaines des neurosciences, allant de l’anesthésiologie à la psychiatrie.

Le propofol est un anesthésique général à action rapide largement utilisé pour plonger les patients dans un état d’inconscience lors des procédures invasives. La manière dont l’anesthésique induit cet état d’inconscience complète fait l’objet de débats depuis plusieurs décennies. Les scientifiques se sont notamment demandé si le médicament agissait principalement au niveau du thalamus ou du cortex cérébral. Le premier est une structure interne en forme d’œuf enregistrant les informations sensorielles, tandis que le second est responsable du traitement complexe de ces informations.

Cette absence de consensus est en grande partie due à la complexité anatomique et fonctionnelle du système thalamocortical. Le thalamus est constitué de nombreux noyaux possédant chacun des propriétés anatomiques et fonctionnelles distinctes. Ils peuvent néanmoins être divisés en deux groupes : les noyaux thalamiques spécifiques et non spécifiques.

Les noyaux thalamiques spécifiques envoient des informations sensorielles à des zones bien définies du cortex (traitement unimodal), relayant ainsi les signaux avec précision. En revanche, les noyaux non spécifiques se projettent plus largement vers plusieurs zones corticales (traitement transmodal), notamment au niveau des couches supérieures. Ce processus est essentiel au traitement des fonctions cognitives complexes.

D’autre part, le thalamus possède une architecture cellulaire hétérogène avec au moins deux catégories de cellules distinctes : les cellules centrales et les cellules matricielles. Les premières se connectent de manière spécifique aux couches inférieures du cortex, tandis que les secondes sont reliées de façon diffuse aux couches supérieures. De précédentes études ont suggéré que les noyaux thalamiques riches en cellules matricielles jouent un rôle essentiel dans la conscience.

Cependant, cette hypothèse a été réfutée par d’autres travaux, suggérant notamment que les états inconscients impliquent une perturbation généralisée de la connectivité fonctionnelle thalamocorticale, incluant à la fois les noyaux thalamiques spécifiques et non spécifiques. Ces résultats contradictoires n’ont jusqu’à présent jamais été conciliés, car la plupart des études basées sur la neuroimagerie ont analysé le thalamus soit dans son ensemble, soit par le biais de sous-régions spécifiques, sans examiner l’implication de sous-populations cellulaires spécifiques.

Des chercheurs de l’Université du Michigan proposent de mettre fin au débat en analysant la distribution spatiale de la connectivité cellulaire entre le thalamus et le cortex, lors d’une sédation profonde. L’étude décrit entre autres la manière dont les connexions entre les cellules cérébrales réparties dans ces deux zones clés sont modifiées par le propofol, pour induire une perte de conscience.

« Le domaine se concentre sur les effets anesthésiques sur le thalamus et le cortex depuis plus de deux décennies. Je pense que cette étude fait progresser considérablement la neurobiologie », explique dans un communiqué le coauteur principal de la recherche, George Mashour, professeur d’anesthésiologie et de pharmacologie et fondateur de l’UM Center for Consciousness Science.

Un passage d’une géométrie fonctionnelle équilibrée à une géométrie déficiente

Les chercheurs ont recruté des volontaires sains pour cartographier les changements thalamocorticaux avant, pendant et après sédation sous propofol. L’imagerie par résonance magnétique fonctionnelle (IRMf) a été utilisée pour surveiller le flux sanguin et l’activité électrique entre les deux régions, lorsque les participants entraient et émergeaient dans/de l’état d’inconscience. Plus précisément, les volontaires ont été soumis à des IRMf dans des conditions conscientes, de sédation profonde et de récupération, chacune comprenant 16 minutes d’état de repos et 16 min d’écoute de musique. Cela a permis d’analyser les gradients d’activité à travers les zones de traitement corticales unimodales et transmodales.

Avant la sédation, les noyaux thalamiques spécifiques et non spécifiques présentaient des niveaux d’activité équilibrés. Cela signifie que les traitements unimodal et transmodal étaient, eux aussi, équilibrés. En revanche, lorsque l’anesthésique a fait effet, l’activité des groupes de cellules responsables du traitement transmodal a drastiquement diminué, conduisant ainsi à un traitement unimodal dominant. Ce constat suggère que même si les informations sensorielles sont toujours reçues lors d’une sédation profonde, elles ne sont pas traitées.

conscience sedation
Modifications de la corrélation du gradient thalamocortical pendant la sédation profonde. a. L’étude a porté sur des volontaires sains soumis à des examens IRMf dans des conditions de base consciente, de sédation profonde et de récupération. Des cartes topographiques des coefficients de corrélation de gradient sont présentées pour chaque condition. b. Les coefficients de corrélation de gradient ont été extraits de zones thalamiques prédéfinies. Abréviations : VAs ; thalamus ventro-antérieur supérieur, DAm ; thalamus dorso-antérieur médial, VAi ; thalamus ventro-antérieur inférieur, DAl ; thalamus dorso-antérieur latéral, VPm ; thalamus ventro-postérieur médial, DP ; thalamus dorso-postérieur et VP ; thalamus ventro-postérieur latéral. © Zirui Huang et al.

En mesurant les signatures d’expression de l’ARNm dans les cellules impliquées, ils ont constaté que la perturbation de l’activité des cellules matricielles semblait jouer un rôle plus important dans la transition vers l’inconscience, que les cellules centrales. « Nous avons maintenant des preuves convaincantes que les connexions généralisées des cellules matricielles thalamiques avec le cortex d’ordre supérieur sont essentielles à la conscience », indique Anthony G. Hudetz de l’UM Center for Consciousness Science, également coauteur de l’étude — détaillée dans la revue Nature Communications.

Fait intéressant : l’acide γ-aminobutyrique (GABA) ne semble pas jouer un rôle aussi important que prévu dans la perte de conscience. La GABA est un neurotransmetteur inhibiteur du système nerveux central chez les mammifères et les oiseaux, généralement considéré comme essentiel à l’action des anesthésiques de type propofol. Les analyses suggèrent que cela est davantage lié à la perturbation de la fonction des cellules matricielles présentes dans l’ensemble du thalamus. En d’autres termes, la perte de conscience induite par l’anesthésie est davantage associée au « passage d’une géométrie fonctionnelle noyau-matrice équilibrée à une géométrie matricielle déficiente », concluent les experts.

Source : Nature Communications

Laisser un commentaire