Un état de matière hybride, à mi-chemin entre le solide et le liquide, identifié dans le noyau terrestre interne

Un état dit « superionique » qui expliquerait ses propriétés sismiques inhabituelles.

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| NASA
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Des chercheurs ont découvert que les alliages fer-carbone qui composent le noyau terrestre interne sont dans un état superionique, un état solide dynamique au sein duquel les constituants sont presque aussi malléables que ceux d’un liquide. Cet état particulier se produirait dans les conditions de pression et de température extrêmes du noyau terrestre et expliquerait ses comportements sismiques inhabituels.

Le noyau de la Terre est composé d’une couche externe liquide et d’une couche interne que l’on a longtemps supposée solide et compacte. Bien que principalement composée de fer, cette couche interne est environ 3 à 5% moins dense que le fer pur, ce qui suggère la présence d’autres éléments plus légers tels que le silicium, le carbone, ou le soufre. En d’autres termes, elle serait plutôt composée d’alliages que de fer pur.

De études ont cependant suggéré que plutôt que d’être entièrement compacte, le noyau interne est étonnamment malléable pour un solide. En effet, la vitesse des ondes de cisaillement (des ondes sismiques qui font vibrer le sol d’avant en arrière perpendiculairement à la direction de propagation de l’onde) qui le traversent varie de 3,4 à 3,6 km/s, ce qui est nettement inférieur aux valeurs prédites pour un noyau ferreux compact.

Le noyau interne de la Terre présente également un coefficient de Poisson très élevé de 0,44 à 0,45, ce qui est comparable à celui du caoutchouc ou du beurre ferme. Le coefficient de Poisson est une mesure de la déformation latérale d’un matériau par rapport à sa déformation axiale sous contrainte mécanique. Il caractérise ainsi sa capacité à se dilater ou à se contracter sous l’effet d’une contrainte.

Un noyau interne moins rigide qu’on le pensait

La question de savoir pourquoi le noyau interne de la Terre est à la fois solide et malléable constitue une énigme de longue date. La compréhension de ses propriétés est notamment essentielle pour appréhender sa dynamique interne. Des études ont suggéré que ces propriétés sismiques énigmatiques pourraient s’expliquer par le fait que le noyau interne de la Terre ne comporte pas comme un solide ordinaire mais comme un solide superionique. Dans cet état, les éléments plus légers se déplacent au sein d’un réseau de fer rigide avec une fluidité comparable à celle d’un liquide.

Dans une étude publiée dans le numéro du mois dernier de la revue National Science Review, des chercheurs de l’Université du Sichuan et de l’Institut de géochimie de l’Académie chinoise des sciences ont pour la première fois confirmé expérimentalement cette hypothèse. D’après l’équipe, cette découverte pourrait modifier notre compréhension de la dynamique interne du noyau terrestre.

Pour effectuer leur expérience, les chercheurs chinois se sont concentrés sur les alliages fer-carbone. Le carbone est considéré comme un élément possible du noyau terrestre en raison de son abondance dans les chondrites (des météorites primitives remontant à l’époque de la formation de la Terre) et de sa forte affinité avec les atomes de fer. De précédentes études ont également démontré que le carbure de fer présente un coefficient de Poisson élevé et une faible vitesse d’ondes sonores, ce qui correspond aux observations sismiques concernant le noyau terrestre.

L’équipe a alors avancé l’hypothèse selon laquelle les alliages fer-carbone passent à un état superionique en étant soumis à une pression et une chaleur très élevés. Les atomes de carbone se déplaceraient ainsi à travers la structure cristalline du fer solide, ce qui réduirait fortement la rigidité du matériau.

Pour tester leur hypothèse, les chercheurs ont développé une plateforme de compression par choc dynamique pour accélérer des échantillons d’alliages fer-carbone à des vitesses allant jusqu’à 7 km/s et sous des pressions jusqu’à 140 gigapascals, des valeurs similaires à celles de la partie supérieure du noyau interne. Combinés à des températures de plus de 2 600 °C, ces conditions s’approchent de celles du noyau interne de la Terre.

Un état superionique confirmé en laboratoire

En combinant des mesures de vitesse des ondes avec des simulations de dynamique moléculaire avancées, les chercheurs ont constaté une chute brutale de la vitesse des ondes de cisaillement qui traversent le matériau superionique, ainsi qu’une hausse soudaine du coefficient de Poisson. À l’échelle atomique, les atomes de carbone se déplaçaient librement à travers le réseau solide du fer, affaiblissant ainsi sa rigidité sans pour autant altérer sa structure.

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Les atomes de fer forment une structure hexagonale compacte (hcp) rigide, certains d’entre eux présentant un mouvement collectif selon les directions [100] et [010]. Au sein de ce réseau hcp de fer, les éléments légers interstitiels diffusent librement, à la manière d’un liquide, tandis que les éléments légers substitutionnels restent confinés à leurs sites substitutionnels respectifs. Par conséquent, le noyau interne de la Terre se trouve dans un état hybride, présentant un comportement à la fois solide et liquide. © Huang et al.
« Pour la première fois, nous avons démontré expérimentalement qu’un alliage fer-carbone, dans les conditions du noyau interne, présente une vitesse des ondes de cisaillement remarquablement faible », explique Youjun Zhang de l’Université du Sichuan, le coauteur de l’étude, à Science China Press. « Dans cet état, les atomes de carbone deviennent extrêmement mobiles et diffusent à travers la structure cristalline du fer, à la manière d’enfants dansant dans une chorégraphie carrée, tandis que le fer lui-même reste solide et ordonné. Cette phase dite « superionique » réduit considérablement la rigidité de l’alliage », indique-t-il.

D’après les chercheurs, cette confirmation a d’importantes implications dans la compréhension de la manière dont le noyau terrestre fonctionne. « Nous passons d’un modèle statique et rigide du noyau interne à un modèle plus dynamique », souligne Zhang. L’état superionique expliquerait non seulement ses propriétés sismiques inhabituelles, mais pourrait aussi apporter des pistes supplémentaires quant à sa dynamique interne et pourrait même influencer des processus complexes comme la stabilité du champ magnétique de la Terre.

« La diffusion atomique au sein du noyau interne représente une source d’énergie jusqu’ici négligée pour la géodynamo. Outre la chaleur et la convection de composition, le mouvement fluide des éléments légers pourrait contribuer à alimenter le moteur magnétique terrestre », explique Yuqian Huang de l’Université du Sichuan, l’auteur principal de la recherche. Ces données pourraient en outre éclairer la manière dont le champ magnétique d’autres planètes rocheuses, comme Mars, a évolué.

Source : National Science Review
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