La morphologie des étoiles de mer constitue l’une des plus grandes énigmes zoologiques. En effet, bien qu’elles aient évolué à partir d’un ancêtre bilatéral, elles ont développé une déroutante configuration répartie dans 5 directions. Plus étonnant encore, une nouvelle étude suggère que ces animaux n’ont pas de tronc et seraient ainsi entièrement constitués d’une grande tête plate. L’analyse de leur expression génétique a en effet révélé que la totalité de leur corps (y compris les bras) correspond uniquement à la tête.
Les échinodermes (étoiles de mer, oursins, concombres de mer, …) font partie des deutérostomes et descendent tous d’un ancêtre bilatérien. Comme les humains et beaucoup d’autres animaux, ce dernier possède une configuration anatomique répartie sur deux directions et séparée par une ligne de symétrie centrale (séparant le côté droit du gauche). Il possède également une tête, un tronc ainsi qu’une queue (ou des membres inférieurs).
Cependant, les étoiles de mer ont une organisation pentaradiale à l’état adulte et ne possèdent ni côté droit ni côté gauche, de même pour l’avant et l’arrière. Bien qu’elles conservent une configuration bilatérale à l’état de larve, leur anatomie se réorganise radicalement en grandissant et se répartit finalement dans 5 directions distinctes. Cette configuration est fondamentalement différente de leur ancêtre bilatérien, intriguant ainsi les scientifiques depuis des décennies. De plus, il est particulièrement difficile de trouver chez ces animaux les parties du corps équivalentes à celles des bilatériens. Cela implique que jusqu’à présent, l’emplacement exact de la tête et du reste du corps des étoiles de mer demeurait mystérieux.
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« La relation entre les différentes parties du corps des échinodermes et celles que nous observons chez d’autres groupes d’animaux est un mystère pour les scientifiques depuis aussi longtemps que nous les étudions », explique Jeffrey Thompson, de l’Université de Southampton. « Chez leurs parents bilatéraux, le corps est divisé en tête, tronc et queue. Mais rien qu’en regardant une étoile de mer, il est impossible de voir comment ces sections sont liées aux corps d’animaux bilatéraux », ajoute-t-il.
Dans le but de décrypter leur étonnante morphologie, Thompson et ses collègues ont comparé les marqueurs génétiques traduisant la configuration anatomique d’une étoile de mer à ceux de deutérostomes bilatériens. Étant donné leur ancêtre bilatérien commun, cette étude comparative permet d’améliorer notre compréhension de la façon dont les échinodermes ont évolué vers leur morphologie unique.
Une absence de gènes spécifiques au développement du tronc
Chez les bilatériens, les gènes traduisant le développement morphologique sont exprimés au niveau de bandes de tissus situées dans la couche externe embryonnaire (ectoderme). Le déploiement de ce réseau de régulation génétique traduit la polarité antéro-postérieure de l’ectoderme, c’est-à-dire son développement vers la répartition bidirectionnelle des différentes parties du corps. Dans le cadre de la nouvelle étude, des techniques moléculaires et génomiques ultraprécises ont été utilisées afin de comprendre où les équivalents de ces gènes sont exprimés au cours du développement embryonnaire et de la croissance des étoiles de mer. Ensuite, la tomographie d’ARN et l’hybridation in situ ont été utilisées afin de créer une carte tridimensionnelle de l’expression de ces gènes.
Les scientifiques ont ainsi été surpris de constater que chez les étoiles de mer, les équivalents des gènes spécifiques à la tête sont exprimés le long d’une ligne de symétrie centrale au niveau de chaque bras. Les gènes exprimant ce qui semble être les parties avant du corps sont situés sur les côtés de cette ligne, tandis que ceux exprimant les parties arrières en sont plus éloignés.
Plus étonnant encore, les gènes traduisant la morphologie du tronc chez les deutérostomes bilatériens n’avaient pas d’équivalent chez les étoiles de mer. Cela suggère que ces derniers ont abandonné leur région du tronc et libéré leur ectoderme de sorte à s’épanouir dans de nouvelles directions. Cela signifie également que la totalité de leur corps est l’analogue de la tête chez d’autres animaux, ce qui leur a permis de se déplacer et de se nourrir différemment au cours de leur évolution. « Ces résultats suggèrent que les échinodermes, et les étoiles de mer en particulier, présentent l’exemple le plus spectaculaire de découplage des régions de la tête et du tronc que nous connaissions aujourd’hui », explique Laurent Formery, auteur principal de l’étude, disponible dans la revue Nature.
D’autres experts suggèrent que les bilatériens ont probablement conservé leur tronc afin de pouvoir échapper aux prédateurs en nageant. En revanche, les échinodermes se défendent en se recroquevillant sur eux-mêmes, ce qui semble suffire à leur survie globale. « Nos recherches nous indiquent que le plan corporel des échinodermes a évolué d’une manière plus complexe qu’on le pensait jusqu’ici et qu’il reste encore beaucoup à apprendre sur ces créatures intrigantes », conclut Thompson.