Les hadrons, comme les protons et les neutrons qui composent les noyaux atomiques, sont des particules composites constituées de quarks. Les quarks sont des particules élémentaires liées entre elles à l’intérieur des hadrons par des gluons, les bosons médiateurs de l’interaction forte. Toutefois, les quarks composant les hadrons ne comptent que pour une infime partie de la masse totale de ces particules ; la majorité de cette masse étant en réalité issue de l’énergie des fluctuations quantiques, créant une mer de quarks et antiquarks virtuels. Depuis 20 ans, les physiciens détectent une étrange asymétrie dans les antiquarks virtuels apparaissant dans les protons. Et de nouvelles données viennent de confirmer l’existence de ce déséquilibre.
Au début des années 1990, les physiciens ont brisé des protons afin d’étudier la dynamique des quarks qui les composent. Naturellement, comme les résultats laissaient beaucoup de place au doute, une double vérification s’imposait. Des expériences ultérieures menées au Fermi National Accelerator Laboratory (Fermilab) aux États-Unis, ont suggéré que quelque chose d’étrange se passait lorsque les paramètres des particules étaient poussés à l’extrême de ce que les installations pouvaient détecter.
Les chercheurs se sont donc lancés dans une nouvelle expérience, surnommée SeaQuest, afin de sonder la dynamique des quarks avec une précision sans précédent. Il a fallu 20 ans à l’équipe pour briser les particules et passer au crible les données, mais ils ont finalement confirmé qu’il y avait vraiment un déséquilibre curieux dans l’antimatière à l’intérieur de chaque proton.
L’existence d’un déséquilibre dans les saveurs des antiquarks virtuels
Les quarks sont classés en plusieurs types, ou saveurs : up, down, top, bottom, charm et strange. Lorsque, par exemple, deux quarks up et un quark down s’assemblent, ils composent un proton. Et chaque quark possède naturellement son antiparticule nommée antiquark. Lorsqu’un quark et un antiquark se rencontrent, ils s’annihilent dans la mer de particules virtuelles environnante, générant un photon virtuel éphémère, lui-même s’évanouissant dans le chaos bouillonnant de particules-antiparticules virtuelles.
« La nature fugace des paires quark-antiquark rend leur présence dans les protons difficile à étudier, mais dans cette expérience, nous avons détecté les annihilations des antiquarks, ce qui nous a donné un aperçu de l’asymétrie », explique le physicien Paul Reimer, du Laboratoire National d’Argonne.
Au regard de la masse similaire des quarks up et down, les physiciens n’envisageaient pas un déséquilibre dans l’apparition de particules virtuelles issues du vide quantique. De loin, les annulations s’équilibrent pour donner l’apparence d’un triplet stable de quarks. Du moins c’était la théorie de l’époque. Ces expériences du début des années 1990 ont révélé que la réalité est un peu plus compliquée, avec plus d’antiquarks down surgissant que ceux de la variété up, laissant les physiciens avec une asymétrie déroutante.
Un nombre plus élevé d’antiquarks down que d’antiquarks up
Une explication pourrait résider dans la façon dont les protons peuvent se transformer brièvement en neutrons en émettant — puis en réabsorbant rapidement — une de ces paires quark-antiquark, appelée pion. À la fin des années 1990, les chercheurs ont mené des expériences sur les impulsions des quarks, offrant ainsi un champ plus large pour mesurer et prédire leurs caractéristiques.
Alors que les tests ont repoussé les limites des détecteurs, les données issues de l’expérience « NuSea » suggéraient qu’une fois que l’élan du quark était suffisamment élevé, certaines saveurs d’antiquark devenaient effectivement plus courantes. Seulement, cette fois, il s’agissait des up, et non des down.
Les données de SeaQuest contredisent ces résultats, constatant que quelle que soit la dynamique du quark, ce sont les antiquarks down qui dominent, même au moment où l’impulsion la plus élevée est mesurée. « Nous avons encore une compréhension incomplète des quarks des protons et de la manière dont ils donnent naissance aux propriétés du proton », conclut Reimer.