Un mystérieux microbe découvert dans les profondeurs de l’océan Pacifique pourrait détenir les secrets de l’évolution des premières formes de vie muticellulaires. En effet, selon une nouvelle étude, le petit « organisme à tentacules » pourrait nous renseigner sur ce qui a permis à la vie de se complexifier durant les premiers stades de l’évolution.
Bien avant l’existence d’êtres vivants complexes, le monde abritait de simples organismes unicellulaires, des archées et les bactéries. Il y a entre 2 et 1.8 milliard d’années, ces micro-organismes ont commencé à évoluer, conduisant à l’émergence de formes de vie plus complexes, appelées eucaryotes.
Le domaine des eucaryotes comprend aujourd’hui les humains, les animaux, les plantes et les champignons. Mais cette incroyable évolution de la vie aquatique à la vie hors de l’eau, puis à la marche — et pour les êtres les plus évolués, à la pensée et aux sentiments, est encore mal comprise par les scientifiques.
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Les Asgard archaea, potentiels ancêtres des eucaryotes
Dans une précédente étude, des biologistes avaient émis l’hypothèse qu’un groupe d’archées appelé Asgard archaea (les archées d’Asgård) regroupait les ancêtres très recherchés des eucaryotes, car ils contiennent des gènes similaires à leurs homologues complexes.
Pour analyser à quoi ressemblaient ces microbes et comment cette transition aurait pu se produire, un groupe de chercheurs japonais a ensuite passé une décennie à collecter et analyser la boue du fond de la crête d’Omine, au large des côtes du Japon. Les résultats de l’étude ont été publiés le 15 janvier dans la revue Nature.
L’équipe a conservé les échantillons de boue (et les micro-organismes qui s’y trouvent) dans un bioréacteur spécial, dans un environnement de laboratoire qui imite les conditions de la mer profonde dans laquelle ils ont été trouvés.
Des années plus tard, ils ont commencé à isoler les micro-organismes dans des échantillons. Le but initial des chercheurs était de trouver des microbes consommant du méthane et qui pourraient être en mesure de nettoyer les eaux usées, selon le New York Times. Mais quand ils ont découvert que leurs échantillons contenaient une souche inconnue d’Asgard archaea, ils ont décidé de l’analyser et de la cultiver en laboratoire.
Prometheoarchaeum syntrophicum, une nouvelle souche d’Asgard archaea
Ils ont nommé la souche nouvellement trouvée d’Asgard archaea « Prometheoarchaeum syntrophicum« , d’après le dieu grec Prométhée, qui aurait créé des humains à partir de boue, selon la mythologie.
Les chercheurs ont constaté que ces archées se cultivaient relativement lentement, ne doublant que tous les 14 à 25 jours. Leur analyse a ensuite confirmé que P. syntrophicum avait un grand nombre de gènes similaires à ceux des eucaryotes. En effet, ces gènes détenaient les instructions pour créer certaines protéines présentes à l’intérieur de ces microbes. Cependant, comme prévu, les protéines n’ont pas créé de structures semblables à des organites, comme celles trouvées à l’intérieur des eucaryotes.
Ils ont également constaté que les microbes avaient de longues saillies ramifiées ressemblant à des tentacules, à l’extérieur, qui pourraient être utilisées pour attraper les bactéries de passage. En effet, l’équipe a découvert que les microbes avaient tendance à coller aux autres bactéries dans les boîtes de Petri.
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Une hypothèse élégante expliquant les changements chez P. syntrophicum
Les auteurs proposent une hypothèse intéressante pour ce qui s’est passé dans ces eaux anciennes, qu’ils expliquent dans une vidéo récemment publiée (disponible en fin d’article) : il y a environ 2.7 milliards d’années, l’oxygène a commencé à s’accumuler sur Terre. Mais ayant vécu si longtemps dans un monde sans oxygène, cet élément s’avérerait toxique pour P. syntrophicum.
Alors, P. syntrophicum peut avoir développé une nouvelle adaptation : une façon de former des liens avec des bactéries tolérantes à l’oxygène. Ces bactéries auraient procuré à P. syntrophicum les vitamines et les composés nécessaires pour survivre, tout en se nourrissant à leur tour des déchets des archées.
Alors que les niveaux d’oxygène augmentaient encore plus, P. syntrophicum aurait pu devenir plus agressif, arrachant des bactéries de passage avec ses longues structures ressemblant à des tentacules, et les intégrant. À l’intérieur de P. syntrophicum, cette bactérie aurait finalement évolué en une organite produisant de l’énergie, la clé de la survie des eucaryotes : la mitochondrie.
Le succès de l’équipe dans la culture de Prometheoarchaeum, après des efforts s’étalant sur plus d’une décennie, « représente une énorme percée pour la microbiologie », écrivent dans un éditorial d’accompagnement Christa Schleper et Filipa L. Sousa, deux chercheuses de l’Université de Vienne, qui n’ont pas participé à l’étude. « Il ouvre la voie à l’utilisation de techniques moléculaires et d’imagerie pour élucider davantage le métabolisme des Prométhéoarché et le rôle des protéines de signature eucaryote en biologie des cellules archéennes » ajoutent-elles.