Bien que le Modèle Standard et son catalogue de particules élémentaires soient considérés comme complets, la matière continue de réserver quelques secrets aux physiciens concernant sa dynamique profonde. C’est en étudiant un matériau monocouche isolant particulier, qu’une équipe de chercheurs américains a fait une découverte étonnante : le matériau présente des oscillations quantiques, un comportement caractéristique des métaux conducteurs. Le phénomène proviendrait de l’existence d’une nouvelle quasi-particule précédemment inconnue qui s’apparenterait à un électron neutre. Ce comportement pourrait ainsi constituer un tout nouvel état quantique de la matière.
L’étrange entité est une quasi-particule, c’est-à-dire un système qui émerge du comportement collectif d’un matériau uniquement lorsque les conditions sont réunies. Dans la nouvelle étude publiée dans la revue Nature, ces conditions ont été observées dans des feuilles de cristal semi-métallique présentant un comportement électromagnétique inhabituel. « Si nos interprétations sont correctes, nous assistons à une forme fondamentalement nouvelle de matière quantique », déclare le physicien de l’Université de Princeton, Sanfeng Wu.
Lui et ses collègues traquaient des indices issus d’expériences précédentes concernant le comportement étrange d’une feuille mince du matériau cristallin ditellurure de tungstène. Le matériau conduit l’électricité comme un métal, mais c’est un isolant puissant en tant que monocouche — une couche qui n’a qu’un atome d’épaisseur — car les électrons mobiles d’un courant sont bloqués par ses électrons fixes.
Dans le cadre de leurs recherches, les chercheurs ont exposé la monocouche à un champ magnétique variable à basses températures, où les effets quantiques deviennent plus prononcés, et ont mesuré la résistance à un courant électrique. Les matériaux classiques présentent un comportement distinctif dans ces conditions : les métaux présentent un phénomène appelé « oscillation quantique », dans lequel leur résistivité bascule rapidement entre différentes valeurs.
Wu explique que les oscillations quantiques se produisent parce que les électrons du matériau changent entre leur état classique normal et les états de la mécanique quantique causés par leur mouvement circulaire dans le champ magnétique. Mais les isolants ne présentent pas d’oscillations quantiques. Ainsi, Wu et ses collègues ont été surpris de voir que la résistivité de la monocouche de ditellurure de tungstène commençait à osciller à mesure que le champ magnétique augmentait (le comportement distinctif d’un métal).
Des oscillations quantiques inattendues
Les physiciens savent aujourd’hui qu’un champ magnétique suffisamment fort fait basculer les électrons d’un métal entre leur état classique normal et leurs états quantiques circulaires, provoquant les oscillations de la résistivité du métal ; et les oscillations quantiques sont devenues un outil standard pour caractériser de nombreuses propriétés des métaux.
En revanche, les électrons des matériaux isolants ne peuvent pas bouger, ils ne conduisent donc pas bien le courant électrique et ont une résistivité très élevée. Les isolants ne montrent généralement aucune oscillation quantique, quelle que soit la force du champ magnétique. Ainsi, les oscillations quantiques observées dans la monocouche prétendument isolante de ditellurure de tungstène étaient inattendues.
Bien que le matériau ait une résistivité élevée, il a commencé à osciller entre des niveaux de résistivité supérieurs et inférieurs à mesure que l’intensité du champ magnétique augmentait. Cette oscillation a indiqué que les électrons du matériau se déplaçaient en phases quantifiées provoquées par le champ magnétique — une propriété fondamentale d’un métal, mais dans un isolant puissant.
De nouvelles quasi-particules à l’origine du phénomène
La physique moderne n’explique pas la découverte, et les auteurs émettent l’hypothèse que les oscillations observées sont causées par une forme jusqu’alors inconnue de matière quantique. Ils pensent que les oscillations quantiques pourraient être expliquées par des « quasiparticules », jamais vues auparavant, qui proviennent des électrons fixes lorsque la monocouche de ditellurure de tungstène est exposée à un champ magnétique suffisamment fort. Et ils suggèrent que cette quasi-particule est un « fermion neutre » — l’équivalent d’un électron, mais sans charge électrique.
Les chercheurs pensent que leurs fermions neutres pourraient exister et être mobiles dans un isolant, provoquant des interactions entre un courant et les particules neutres qui émergent des électrons fixes, qui peuvent être détectés comme des oscillations quantiques. Ils envisagent maintenant des moyens de tester leur hypothèse de fermions neutres dans le ditellurure de tungstène, et ils recherchent d’autres isolants qui développent également des oscillations quantiques.