D’étranges objets « trop massifs pour l’Univers primitif » déconcertent les scientifiques

Il pourrait s’agir de galaxies abritant des trous noirs « surmassifs » (« overmassive blackhole »).

etranges objet univers primitif
Les trois mystérieux objets de l'Univers primitif étudiés par les chercheurs. | Bingjie Wang/Penn State ; JWST/NIRSpec.
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De récentes observations avec le télescope spatial James Webb (JWST) révèlent la présence de trois étranges objets extrêmement massifs dans l’Univers primitif, environ 600 à 800 millions d’années après le Big Bang. Leur signature spectrale correspond à celle d’amas d’étoiles hyperdenses abritant potentiellement des trous noirs supermassifs, ce qui est en contradiction avec ce que l’on pourrait attendre de l’Univers primitif.

En 2022, un groupe d’astrophysiciens a détecté trois objets extrêmement massifs datant d’il y a entre 600 et 800 millions d’années après le Big Bang, lorsque l’Univers n’avait que 5 % de son âge actuel. En étudiant leurs spectres, les chercheurs ont détecté des signatures d’étoiles primitives, bien plus anciennes que ce qui devrait normalement être possible dans l’Univers primitif, selon le modèle cosmologique standard.

Ils ont également été surpris de découvrir les signatures de trous noirs extrêmement massifs, entre 100 et 1000 fois plus massifs que le trou noir au centre de notre galaxie. Là encore, le processus de formation des trous noirs et des galaxies selon le modèle cosmologique standard ne concorde pas.

Une invitation à rêver, prête à être portée.

« C’est très déroutant », a déclaré dans un communiqué de l’Université d’État de Pennsylvanie (Penn State), Joel Leja, professeur adjoint d’astronomie et d’astrophysique et co-auteur de l’étude. « On peut arriver à ce que cela s’intègre dans notre modèle actuel de l’Univers, mais seulement si nous évoquons une formation exotique et incroyablement rapide au début des temps », explique-t-il.

En effet, alors que les chercheurs soupçonnaient au départ qu’il s’agissait de galaxies massives et précoces, ce type d’objet ne devrait en fait pas pouvoir se former dans l’Univers primitif. Des processus de rétroaction induits par la formation des étoiles limitent généralement leur fraction de baryons (particules composites composant la matière visible) bien en dessous de la fraction de baryons cosmiques. Cela signifie que les objets en question seraient à la fois apparus plus tôt qu’estimé et représenteraient plus de masse que prévu.

La nouvelle étude, récemment publiée dans The Astrophysical Journal Letters, est une continuité de ces recherches, visant à confirmer la véritable nature de ces objets. Les chercheurs ont constaté qu’effectivement, il s’agit de galaxies proches du début de l’Univers qui semblent abriter de gigantesques trous noirs supermassifs.

« Il était totalement inattendu de trouver de vieilles étoiles dans un univers si jeune. Les modèles standard de cosmologie et de formation des galaxies ont été incroyablement efficaces, mais ces objets lumineux ne s’intègrent pas tout à fait à ces théories », explique l’auteur principal de l’étude, Bingjie Wang.

De petites galaxies abritant des trous noirs « surmassifs » ?

Pour effectuer leurs observations et analyses, les chercheurs de la nouvelle étude se sont appuyés sur le Near InfraRed Spectrograph (NIRSpec) embarqué à bord du JWST et le supercalculateur Roar de l’Institute for Computational and Data Sciences de la Penn State University. NIRSpec est un spectrographe multi-objets qui permet d’obtenir simultanément les spectres de plus d’une centaine d’objets par champ de vue de 3’x3′ avec diverses spectrales. L’instrument peut remonter jusqu’à il y a 13,5 milliards d’années, soit aux débuts de l’Univers.

Cependant, et même avec la résolution du JWST, les analyses spectrales aussi loin dans l’Univers constituent un défi majeur, car il est difficile de distinguer avec précision les objets sources. Les trois objets étudiés par l’équipe présentent clairement les caractéristiques de trous noirs supermassifs et d’étoiles massives et anciennes. Toutefois, on ne sait pas exactement quelle fraction de la lumière observée provient de chacune des deux composantes. En d’autres termes, il est difficile de faire la différence entre la lumière provenant du disque d’accrétion des trous noirs et celle émise par les étoiles qui composent les objets étudiés.

Selon les chercheurs, les données indiquent qu’il pourrait s’agir soit de galaxies primitives et extrêmement massives qui se sont formées bien plus tôt que ne le prédisent les modèles, soit de galaxies de masse standard avec des trous noirs « surmassifs » (ou « overmassive blackhole ») environ 100 à 1 000 fois plus massifs que ceux d’une galaxie de taille équivalente. « L’incapacité à faire la différence dans les données actuelles laisse une grande marge d’interprétation de ces objets intrigants », indique Wang.

objet univers primitif
À gauche : les sources détectées par le continuum avec des ruptures de Balmer (mesurant la luminosité totale émise par les étoiles massives), représentées par des losanges pleins sur le plan couleur. À droite : les images en couleur des trois sources détectées par des ruptures de Balmer, avec des couleurs provenant de JWST/NIRCam F115W, F277W et F444W. Elles sont remarquablement compactes aux longueurs d’onde rouges, avec quelques preuves de structure spatiale aux longueurs d’onde bleues. © Bingjie Wang et al.

Des populations stellaires extrêmement denses

Si une partie de la lumière provient de trous noirs surmassifs, il ne s’agirait pas non plus de trous noirs supermassifs conventionnels. En effet, ils produisent beaucoup plus de photons ultraviolets que la normale. D’autres objets présentant des caractéristiques photoniques similaires ont été précédemment détectés, mais ils ne présentent pas les propriétés d’un trou noir supermassif.

D’autre part, le plus surprenant serait leur masse incroyablement élevée, selon les chercheurs. En temps normal, les galaxies et les trous noirs supermassifs en leur centre évoluent ensemble tout au long de leur vie. Or, les trous noirs détectés par les chercheurs semblent se trouver au centre de petites galaxies alors qu’ils sont arrivés à maturité et semblent complètement formés. « Cela n’a pas vraiment de sens, car ces objets devraient évoluer ensemble, ou du moins c’est ce que nous pensions », estime Leja.

En outre, les populations stellaires y sont si denses qu’elles n’auraient pu se former que dans des conditions particulièrement exotiques pour l’époque. Si cette densité stellaire était transposée à notre galaxie, l’étoile la plus proche de la Terre serait dans notre système solaire, tandis que le trou noir supermassif en son centre ne serait qu’à 26 années-lumière (contre 26 000 années-lumière en réalité) et serait visible dans le ciel sous la forme d’un pilier de lumière géant. Par ailleurs, ces intrigantes galaxies semblent spécifiques à l’Univers primitif, car leur formation s’est visiblement arrêtée après seulement quelques milliards d’années pour une raison mystérieuse.

Prochainement, les chercheurs prévoient d’approfondir leurs observations en orientant le télescope vers ces objets sur des périodes prolongées. Cela permettrait de confirmer s’il s’agit de galaxies primitives et extrêmement massives ou de galaxies de masse normale avec des trous noirs « surmassifs ».

Source : The Astrophysical Journal Letters

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