En utilisant un matériau dit « semi-métallique », des chercheurs ont mis au jour d’étranges particules qui ne possèdent pas de masse lorsqu’elles se déplacent dans une direction spécifique, mais en acquièrent lorsqu’elles sont redirigées dans une direction perpendiculaire à celle initiale. Cela a été réalisé en exposant le matériau à des conditions extrêmes, notamment un champ magnétique plus de 10 millions de fois supérieur à celui de la Terre. Cette expérience pourrait ouvrir la voie à la découverte de nouveaux phénomènes physiques.
Les fermions de Dirac (nommés ainsi en l’honneur du mathématicien et physicien Paul Dirac et indirectement du physicien Enrico Fermi, pour les fermions) sont des particules de spin demi-entier (1/2, 3/2, 5/2, etc.) différentes de leurs anti-particules. En 2016, des chercheurs ont théorisé une catégorie particulière de fermions qui ne possèdent pas de masse dans une direction, mais deviennent massifs dans une direction perpendiculaire à celle initiale.
Pour l’analogie, ce serait comme marcher dans une direction en se sentant très léger, puis se sentir brusquement très massif en tournant à 90° vers l’est ou l’ouest. Baptisées « fermions semi-Dirac », ces quasi-particules (un comportement collectif d’un groupe de particules pouvant être considéré comme une seule particule) ont suscité un important intérêt expérimental, mais n’ont jusqu’à présent jamais été détectées.
Parmi les matériaux explorés pour la détection des fermions semi-Dirac figurent les semi-métaux. Ils présentent des propriétés de transport de particules particulières en raison de leurs structures de bande de conduction et de caractéristiques topologiques distinctes, ce qui les rend particulièrement intéressants pour l’application dans l’électronique. Par exemple, la faible densité d’états au niveau de Fermi (qui décrit la répartition des électrons en fonction de l’énergie) et la structure électronique à dispersion linéaire, peut être utilisée pour améliorer la fonctionnalité et l’efficacité énergétique des composants électroniques.
Les premiers matériaux utilisés sont principalement à base de graphène, mais les résultats étaient jusqu’ici non concluants. Les fermions semi-Dirac nécessiteraient notamment un modèle de semi-métal beaucoup plus complexe que le graphène. L’équipe de la Pennsylvania State University propose un nouveau protocole expérimental permettant une première détection fiable de la particule.
Une masse déterminée par la direction du champ magnétique
Le nouveau protocole — détaillé dans Physical Review X — comprend un semi-métal à base de zirconium, de silicium et de soufre. Il conduit l’électricité à l’instar de tous les matériaux métalliques, mais présente des propriétés inhabituelles lorsqu’il est exposé à des conditions extrêmes. Afin de générer des fermions semi-Dirac, les chercheurs ont refroidi le matériau à une température proche du zéro absolu et l’ont exposé à un champ magnétique plus de 10 millions de fois plus élevé que celui de la Terre.
Ces conditions permettent de manipuler la trajectoire des électrons à l’intérieur du matériau, de sorte qu’ils ne se déplacent pas de manière linéaire, mais suivent plutôt des trajectoires circulaires en spirale. La structure du matériau et la température font que les électrons deviennent sensibles aux effets quantiques. Cela signifie qu’ils peuvent se comporter comme des ondes qui s’amplifient à mesure qu’ils se déplacent le long de leurs trajectoires, ce qui permettrait de générer des fermions semi-Dirac.
Afin de confirmer si les particules générées étaient bien des fermions semi-Dirac, l’équipe a bombardé le matériau avec des impulsions infrarouges et analysé la manière dont celles-ci sont ensuite réfléchies par les particules présentes. L’intensité du champ magnétique ainsi que la fréquence de la lumière infrarouge ont également été variées afin d’identifier « l’empreinte » des fermions semi-Dirac. Lorsque le champ magnétique était orienté dans la même direction que les particules en mouvement, elles ne semblaient pas avoir de masse. En revanche, lorsque ce champ était orienté dans une direction perpendiculaire à celle des particules, celles-ci devenaient nettement plus massives.
« Nos travaux mettent en lumière les quasi-particules cachées émergeant de la topologie complexe des lignes nodales croisées et mettent en évidence le potentiel d’explorer la géométrie quantique avec des réponses optiques linéaires », expliquent les chercheurs dans leur document.
Toutefois, des experts externes à l’étude estiment qu’il pourrait être difficile d’isoler les fermions semi-Dirac dans l’expérience, car le matériau utilisé contient de nombreuses autres particules interagissant elles aussi avec la lumière infrarouge. Néanmoins, cette expérience ouvre la possibilité d’explorer de nouveaux processus physiques, les fermions semi-Dirac pouvant être envisagés comme des hybrides entre électrons ordinaires et particules cosmiques exotiques, tels que les neutrinos sans masse. Les chercheurs de l’étude précisent cependant que davantage de recherches sont nécessaires avant de pouvoir exploiter ces particules pour de futures expériences.