Une récente étude publiée dans la revue Alzheimer’s & Dementia met en lumière une corrélation inattendue entre le statut matrimonial et le risque de démence. Contrairement aux idées reçues, les personnes n’ayant jamais été mariées présenteraient un risque réduit de 40 % de développer une démence, par rapport aux individus mariés. Ces résultats viennent nuancer une littérature abondante qui associait jusqu’ici le mariage à de meilleurs indicateurs de santé.
Selon les données de l’Organisation mondiale de la santé (OMS), près de 57 millions de personnes étaient atteintes de démence dans le monde en 2021, un chiffre en constante augmentation, avec environ dix millions de nouveaux cas diagnostiqués chaque année. La maladie d’Alzheimer en constitue la forme la plus fréquente, représentant entre 60 % et 70 % des cas. À l’échelle mondiale, la démence figure parmi les principales causes de décès, d’invalidité et de dépendance chez les personnes âgées.
L’idée selon laquelle le mariage serait favorable à la santé repose sur un corpus conséquent de recherches. Une méta-analyse de grande ampleur, publiée en 2018 dans la revue Heart par des chercheurs des universités de Keele et Macquarie, semblait d’ailleurs conforter cette hypothèse.
En examinant les données de plus de deux millions d’individus âgés de 42 à 77 ans à travers le monde, cette étude révélait une diminution significative du risque de maladies cardiovasculaires (–42 %), de maladies coronariennes (–16 %) et d’accidents vasculaires cérébraux (–55 %) chez les personnes mariées, en comparaison avec celles vivant seules, divorcées ou veuves.
Pourtant, une étude longitudinale récemment menée par une équipe du Florida State University College of Medicine, dirigée par la chercheuse postdoctorale Selin Karakose, vient remettre en question une vision longtemps établie, en s’intéressant spécifiquement aux fonctions cognitives. « Les personnes non mariées pourraient avoir un risque plus faible de démence par rapport aux adultes mariés », avancent les chercheurs.
Des résultats qui remettent en question les idées reçues
Pour parvenir à ces conclusions, les scientifiques ont suivi 24 107 adultes âgés de 50 à 104 ans (âge moyen : 71 ans) sur une période de 18 ans. Les participants ont été répartis en quatre groupes distincts : mariés, veufs, divorcés et célibataires. Tous ont été soumis régulièrement à des tests neuropsychologiques et évalués par des professionnels de santé.
En prenant en compte uniquement l’âge et le sexe, les chercheurs ont constaté un risque de démence inférieur de 40 % chez les personnes célibataires, comparé à celui des individus mariés. Les veufs affichaient alors une diminution du risque de 27 %, et les divorcés de 34 %.
Après avoir intégré à l’analyse des facteurs comme le niveau d’éducation, l’origine ethnique, la prédisposition génétique, le tabagisme et d’autres indicateurs de santé physique et mentale, l’écart statistique disparaît chez les veufs. Toutefois, les personnes célibataires et divorcées continuent de présenter un risque réduit, respectivement de 24 % et 17 %.
Bien que les mécanismes sous-jacents à cette corrélation restent incertains, les auteurs évoquent plusieurs pistes possibles, notamment en lien avec les interactions sociales. Dans leur rapport, Karakose et son équipe notent : « Les personnes célibataires sont plus enclines à entretenir des relations sociales avec leurs amis et voisins, et adoptent souvent des comportements de vie plus sains que leurs homologues mariés. »
Ils poursuivent : « Les individus mariés auraient tendance à être moins intégrés socialement et à entretenir des interactions moins fréquentes et de moindre qualité au sein de leurs réseaux. Ces dynamiques sociales positives pourraient agir comme un facteur de protection contre la démence à long terme. »
Les auteurs insistent cependant sur l’importance de distinguer corrélation et causalité. Il est possible, selon eux, que les personnes mariées soient plus susceptibles de recevoir un diagnostic précoce de démence grâce à la vigilance de leur conjoint, qui peut détecter les premiers signes de déclin cognitif et encourager une consultation médicale.
« Le fait que tous les groupes non mariés (veufs, divorcés, jamais mariés) soient associés à un risque moindre de démence par rapport aux participants mariés va à l’encontre de la majorité des études longitudinales antérieures », concluent les chercheurs. Ils appellent ainsi à poursuivre les investigations pour mieux cerner les ressorts de cette relation complexe entre statut matrimonial et santé cognitive.