Le manteau inférieur terrestre comporte deux énormes superpanaches, également nommés « grandes provinces à faible vitesse de cisaillement » (ou LLSVP pour large low-shear-velocity province), découverts lors d’études de tomographie sismique. L’un se situe sous l’Afrique, l’autre sous l’océan Pacifique. Des chercheurs ont récemment entrepris de comparer la morphologie de ces deux masses rocheuses : leurs analyses révèlent que ces deux anomalies ont des compositions, des dynamiques et des évolutions différentes.
Un superpanache est un amas de roche dense, qui se caractérise par une faible vitesse de propagation des ondes de cisaillement (ou ondes S). C’est ce qui a révélé la présence de deux immenses « blobs » denses dans les couches profondes du manteau ; ces structures s’étendent sur des milliers de kilomètres et peuvent atteindre 1000 km d’épaisseur depuis l’interface noyau-manteau. Elles sont généralement considérées comme des piles thermochimiques, influençant directement les processus du manteau et du noyau. Cependant, certaines de leurs propriétés, notamment leur différence de hauteur relative et leur stabilité, restaient à éclaircir.
La tomographie globale des ondes de cisaillement montre en effet que l’anomalie africaine a une hauteur supérieure d’environ 1000 km à celle de l’anomalie pacifique. Les chercheurs ont donc tenté de déterminer l’origine de cette différence. Grâce à une série de simulations, ils ont découvert que la hauteur maximale que peut atteindre une pile thermochimique est essentiellement contrôlée par sa densité et la viscosité du manteau environnant. Ce qui suggère que le superpanache africain est moins dense que son homologue situé de l’autre côté du globe.
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Une structure subafricaine potentiellement moins stable
Pour mener leurs recherches, Qian Yuan et Mingming Li, de l’École d’exploration de la Terre et de l’espace de l’Université d’État d’Arizona, ont conçu et exécuté des centaines de simulations de modèles de convection du manteau. Ils ont ainsi testé différents facteurs susceptibles d’influer sur la hauteur des LLSVP, y compris leur volume et les différences de densité et de viscosité entre ces superpanaches et leur environnement direct. « Nos calculs ont révélé que le volume initial des blobs n’affecte pas leur hauteur », a déclaré Qian Yuan dans un communiqué.
D’après leurs analyses, une seule raison peut expliquer l’énorme différence de hauteur entre les deux structures : la LLSVP située sous le continent africain est nécessairement beaucoup moins dense que celle située sous l’océan Pacifique — ce qui implique qu’elle pourrait également être moins stable que cette dernière. Par extension, cela signifie que toutes deux ont évolué différemment et possèdent aujourd’hui une composition chimique différente.
Les deux spécialistes estiment que le superpanache africain a peut-être pris de la hauteur au cours des temps géologiques récents, ce qui pourrait expliquer l’élévation de la topographie de surface et le volcanisme intense observé en Afrique orientale. Le rift est-africain, qui s’étend de l’Érythrée jusqu’au Mozambique, est en effet bien connu pour son activité volcanique — rappelons que le continent compte plus de 180 volcans actifs à ce jour, dont 77 en Éthiopie, 31 au Kenya et 23 en Tanzanie selon Volcano Discovery. Le Nyiragongo et son voisin le Nyamuragira, situés à l’est de la République Démocratique du Congo, sont les plus actifs (et les plus menaçants) : ils sont responsables de près d’une éruption sur cinq.
Des restes du manteau du Théia ?
L’étude de Yuan et Li remet en question notre compréhension des processus du manteau profond et surtout, la façon dont ils peuvent affecter la surface de la Terre. La nature instable du superpanache situé sous le continent africain, par exemple, pourrait être liée aux changements continentaux en matière de topographie, de gravité, de volcanisme de surface et de mouvement des plaques.
Ces résultats permettent également d’éclairer l’évolution de la structure du manteau profond, ainsi que la nature de la convection mantellique. « Notre combinaison de l’analyse des résultats sismiques et de la modélisation géodynamique fournit de nouvelles perspectives sur la nature des plus grandes structures de la Terre dans l’intérieur profond et leur interaction avec le manteau environnant », résume Yuan.
Si les deux experts ont réussi à mieux caractériser ces anomalies internes, leur origine reste encore à éclaircir. Plusieurs hypothèses ont été suggérées pour expliquer la formation de ces structures géantes ; certains pensent qu’elles pourraient résulter de la cristallisation du magma primordial dans les profondeurs de l’océan. Dans une étude publiée l’an dernier, Qian Yuan et ses collaborateurs avançaient qu’il pourrait plutôt s’agir de restes de Théia — la protoplanète entrée en collision avec la Terre il y a 4,5 milliards d’années environ. Si la matière éjectée lors de l’impact s’est ensuite agglomérée pour former la Lune, il se pourrait que des morceaux de cette planète se soient profondément enfouis dans le manteau terrestre.
Étant donné que des preuves provenant d’Islande et de Samoa suggèrent que les LLSVP existent depuis l’époque de l’impact de la formation de la Lune, l’hypothèse est recevable. Selon des travaux récents, Théia aurait pu être aussi grande, mais 2 à 3% plus dense que la Terre ; des simulations de collision réalisées par Yuan ont montré que, dans ces conditions, le noyau de Théia aurait rapidement fusionné avec celui de la Terre et que son manteau plus dense aurait fini par s’empiler près du noyau. D’autres recherches sont toutefois nécessaires pour confirmer ce scénario.