Les chiens domestiques (Canis lupus familiaris) sont les animaux de compagnie les plus anciens et les plus populaires ; les races de chiens modernes ont été domestiquées dans la société humaine il y a plus de 10 000 ans ! Pourtant, le processus de domestication reste à éclaircir. Moins agressifs que les loups, plus proches des humains, les chiens sont également capables de communiquer avec eux. Quels sont les mécanismes biologiques à l’origine de cette différence fondamentale ? Une nouvelle étude fait la lumière sur les différences génétiques impliquées.
Il existe aujourd’hui plus de 400 races de chiens domestiques. On pense que les chiens ont été sélectionnés pour leur proximité humaine, leurs traits physiques, leur comportement et, plus largement, leur capacité à établir des relations sociales. La base génétique de ces capacités n’est cependant pas bien comprise et une équipe du Département des sciences vétérinaires de l’Université d’Azabu, au Japon, s’est penchée sur la question.
« Il est certain que ces adaptations comportementales, dont la docilité et la capacité à nouer des liens sociaux avec l’homme, sont des facteurs importants qui ont permis l’intégration du chien dans la société humaine », écrivent les chercheurs dans Scientific Reports. Ils ont découvert que deux mutations d’un gène spécifique — qui est impliqué dans la production du cortisol — pourraient avoir joué un rôle dans la domestication des chiens, en leur permettant de développer des compétences cognitives sociales afin d’interagir et de communiquer avec les humains.
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Des capacités sociales liées au système endocrinien
À savoir que le comportement animal, en particulier le comportement social, est modulé et influencé par les actions de diverses hormones dans le cerveau. Par exemple, les glucocorticoïdes (cortisone et cortisol) sont des hormones positivement liées à l’anxiété et à l’évitement social. Par conséquent, elles pourraient avoir joué un rôle dans le processus de domestication, tout comme l’ocytocine. Cette dernière est une hormone largement impliquée dans l’attachement entre une femelle et sa progéniture chez les mammifères. Des études ont montré que l’ocytocine peut également intervenir dans des relations inter-espèces ; c’est elle qui permet aux chiens de répondre aux signaux sociaux humains, tels que le fait de pointer du doigt.
La recherche génomique a permis d’identifier une liste de gènes ayant subi une sélection positive lors de la domestication ; les fonctions de ces gènes sont très diverses (digestion, reproduction, processus neurologiques, etc.). « Certaines de ces sélections peuvent avoir influencé le système endocrinien, ce qui a conduit les chiens domestiques à acquérir leurs comportements uniques au cours du processus de domestication », notent les chercheurs. Ils ont donc étudié plus avant le rôle du cortisol et de l’ocytocine dans ce processus.
Miho Nagasawa et ses collègues ont commencé par étudier les interactions sociales et cognitives de 624 chiens domestiques en les soumettant à deux tâches. Dans la première, le chien devait décider quel bol parmi deux contenait de la nourriture cachée sous celui-ci, en se basant sur des indices tels que le regard, le pointage et le tapotement, fournis par les expérimentateurs. Cette tâche visait à tester la compréhension du chien des gestes et de la communication humaine.
Dans la seconde tâche, le chien a été soumis à un test de résolution de problèmes, qui consistait à essayer d’ouvrir un récipient pour accéder à de la nourriture. Au cours de la tâche, la fréquence et la durée du regard du chien sur les expérimentateurs ont été mesurées, afin d’évaluer l’attachement social aux humains. Les chiens ont été séparés en deux groupes en fonction de leur race : le groupe des races anciennes, composé de races considérées comme génétiquement plus proches des loups, telles que l’Akita et le Husky de Sibérie ; et le groupe général, qui englobe toutes les autres races.
Un attachement qui découle de mutations génétiques
Il est ressorti de cette expérience que pendant la tâche de résolution de problèmes, les chiens de races anciennes ont montré une latence plus longue avant de regarder les expérimentateurs ; en outre, ils regardaient moins souvent les humains que les autres races — ce qui suggère qu’ils étaient globalement moins attachés à eux. Les chercheurs ne rapportent en revanche aucune différence significative liée à la race lors de la première tâche, ni dans le taux de réponse correcte, ni dans leur capacité à comprendre les gestes et les signaux humains.
« Nous avons émis l’hypothèse que la régulation par le cortisol de la tolérance sociale et la réponse non craintive envers les humains pourraient avoir été le tournant le plus important dans la domestication des chiens », expliquent les chercheurs. Toutefois, une diminution du cortisol ne peut expliquer à elle seule la capacité des chiens à comprendre les signaux de communication humains et à former des liens sociaux ; l’équipe a donc suspecté l’ocytocine d’intervenir également dans le processus de domestication.
Ils ont alors examiné, dans chacun des deux groupes, les polymorphismes génétiques de l’ocytocine, du récepteur de l’ocytocine, du récepteur de la mélanocortine 2 (MC2R) et d’un gène lié au syndrome de Williams-Beuren, en tant que gènes candidats de la domestication du chien. Chez l’Homme, le syndrome de Williams-Beuren est une maladie congénitale caractérisée, entre autres difficultés de développement, par un comportement hypersocial ; ils éprouvent un fort besoin d’aimer et d’être aimé. Or, contrairement aux loups, les chiens domestiqués disposent d’insertions génétiques spécifiques au niveau du chromosome 6, dans la région critique de ce syndrome – ce qui explique leur extrême sociabilité.
L’analyse des données montre que deux mutations du gène MC2R, impliqué dans la production de cortisol, sont à la fois associées à l’interprétation correcte des gestes dans la première tâche et au fait de regarder plus souvent les expérimentateurs dans la tâche de résolution de problèmes. Ce gène pourrait donc avoir joué un rôle dans la domestication des chiens, peut-être en favorisant des niveaux de stress plus faibles en compagnie des humains.
D’autres recherches seront néanmoins nécessaires pour étayer cette découverte. L’équipe pense que les compétences cognitives sociales des chiens domestiques ne peuvent pas être complètement expliquées par les seuls gènes identifiés ici, mais doivent être contrôlées par d’autres gènes, dont il faudra déterminer les effets.