Réduire les émissions de gaz à effet de serre apparaît aujourd’hui comme indispensable pour limiter le changement climatique. L’excès de dioxyde de carbone dans l’atmosphère est dû en partie à la déforestation, mais surtout à la consommation de combustibles fossiles. Des chercheurs se sont intéressés aux moyens d’opérer un changement radical dans ce domaine : ils révèlent dans leur étude quels sont les 10 acteurs financiers ayant le plus d’influence sur l’économie des combustibles fossiles. Ces acteurs pourraient jouer un rôle décisif dans l’effort mondial de décarbonisation.
La décarbonisation, pilier de la transition énergétique, vise à contenir le réchauffement climatique sous les 2 °C. Elle consiste à déployer en masse et le plus rapidement possible des énergies renouvelables (solaire, éolien, hydraulique, biomasse, géothermie), afin de cesser d’utiliser des combustibles fossiles (pétrole, gaz et charbon), émetteurs de CO2. Construire et installer les infrastructures nécessaires, et inciter les entreprises à opter pour des énergies décarbonées constitue un véritable défi — d’autant plus que l’efficacité énergétique est variable d’une source d’énergie à l’autre et peut impacter les rendements.
Depuis l’Accord de Paris pour le climat, entré en vigueur en 2016, les 195 pays signataires se sont pourtant engagés dans une transformation économique et sociale majeure, afin de réduire leurs émissions de gaz à effet de serre. À ce jour, force est de constater que les mesures ont été pour la plupart trop peu ambitieuses. Une poignée d’entités pourrait toutefois changer la donne, selon une récente étude. « Les investisseurs ont un rôle central à jouer dans les transitions vers la durabilité, en raison de leur influence démesurée sur la gouvernance de l’industrie d’extraction des combustibles fossiles », écrivent Truzaar Dordi, chercheur principal à l’Université de Waterloo, et ses collaborateurs.
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L’avenir du monde entre les mains de 10 investisseurs
Une analyse réalisée en 2020 par Fossil Free Funds a révélé que seulement 200 entreprises (réunies sous le nom de Carbon Underground 200 ou CU200) détiennent 98% des réserves mondiales de pétrole, de gaz et de charbon. Dordi et ses collègues ont cherché à savoir qui possède ces sociétés, en étudiant la structure du marché et en identifiant précisément les actionnaires ayant la plus grande influence potentielle sur leur gouvernance.
Il ressort de leur analyse que 10 entités — des gouvernements, des conseillers en investissement privé et des fonds souverains du monde entier — considérées comme ayant la plus grosse influence sur l’économie des combustibles fossiles, pourraient dès aujourd’hui apporter des changements qui auraient un impact transformateur dans la lutte contre le changement climatique.
Pour établir cette liste, les chercheurs ont classé les actionnaires selon leurs avoirs en combustibles fossiles et leurs investissements dans les 200 plus grandes entreprises mondiales de combustibles fossiles. Parmi les actionnaires les plus importants figurent des gouvernements signataires de l’Accord de Paris et d’éminents gestionnaires d’investissement américains, précise l’équipe.
Ce « top 10 » est précisément constitué de : BlackRock (USA), Vanguard (USA), le gouvernement indien, State Street (USA), le Royaume d’Arabie saoudite, Dimensional Fund Advisors (USA), Life insurance Corporation (Inde), Norges Bank (Norvège), Fidelity Investments (USA) et Capital Group (USA). Ces 10 acteurs détiennent à eux seuls 49,5% des 674 gigatonnes d’émissions de CO2 potentielles provenant des plus grandes entreprises du secteur de l’énergie du monde, soulignent les auteurs de l’étude.
Le fait que seule une poignée d’investisseurs aient un pouvoir de décision sur la moitié des émissions mondiales représente « soit un problème, soit une opportunité », souligne Dordi dans un communiqué. Ces 49,5% suffiraient en effet à faire basculer le monde bien au-delà d’un réchauffement de +1,5 °C…
Le seul moyen d’éviter une catastrophe
Mais ce chiffre montre surtout qu’ils détiennent la clé du changement climatique, ils sont même indispensables pour concrétiser une transition énergétique durable. « Les décisions de ces acteurs financiers, à travers leurs participations dans l’UC200, ont le potentiel de conduire une transition à faible émission de carbone », écrivent les chercheurs.
À titre individuel, nous ne pouvons qu’agir sur la consommation des combustibles fossiles — en limitant par exemple notre usage de la voiture et de l’avion, afin de réduire la demande. Mais les investisseurs identifiés dans cette étude ont, quant à eux, le pouvoir d’agir directement sur la production de ces combustibles. « Sans eux, nous n’aurons tout simplement pas ce qu’il faut pour atteindre nos objectifs en matière d’émissions et éviter une catastrophe », souligne Dordi.
Dans leur étude, les chercheurs décrivent les moyens via lesquels ces 10 acteurs peuvent réellement faire progresser la lutte contre le changement climatique. Ils évoquent notamment « la divulgation publique d’une élimination progressive programmée du financement des combustibles fossiles ». Parmi les recommandations se trouvent également une évaluation de l’exposition d’un portefeuille au risque climatique dans un monde à +2 °C, et un alignement des portefeuilles d’investissement sur un scénario à +1,5 °C.
Les chercheurs ne sont toutefois pas très optimistes : ils estiment peu probable que le système financier soutienne les changements transformateurs nécessaires, « à moins qu’il ne soit discipliné pour le faire ». Selon eux, ces investisseurs devraient désormais être tenus responsables du financement des activités économiques qui contribuent à l’instabilité climatique.