Le bonheur, cette émotion subjective et délicate à cerner, est souvent décrit comme un sentiment de gratitude et de bien-être émotionnel global. Si des recherches passées ont déjà mis en lumière des traits communs chez les personnes déclarant être heureuses dans la vie, des chercheurs canadiens ont entrepris de sonder les subtilités de cette quête universelle. Selon leurs conclusions, l’épanouissement ne découle pas seulement d’activités passionnantes, mais aussi d’engagements moins plaisants, mais abordés avec un sentiment d’autonomie et de motivation personnelle.
Pourquoi certaines personnes sont-elles plus heureuses que d’autres ? C’est la question fondamentale à laquelle Robert J. Vallerand, titulaire de la Chaire de recherche du Canada sur les processus motivationnels et le fonctionnement optimal, et professeur à l’Université du Québec à Montréal, a tenté de répondre avec son équipe. Pour cela, les chercheurs se sont penchés sur le quotidien des individus épanouis.
Dans une étude antérieure, Vallerand et ses collaborateurs de l’Université du Québec ont exploré la notion de passion au travail. Ils ont défini la passion comme « un fort penchant pour une activité que l’individu aime, qu’il trouve importante et dans laquelle il investit temps et énergie ». Cette étude a révélé que lorsqu’une activité est hautement valorisée, elle devient une part intégrante de l’identité de la personne. Ce processus d’internalisation est appelé « passion harmonieuse » et a été central dans la nouvelle étude visant à comprendre le bonheur dans un cadre plus large.
« Nous savons depuis longtemps que la passion, et surtout la passion harmonieuse, contribue au bien-être psychologique. Cependant, nous ignorions si les personnes les plus heureuses sont celles entourées d’activités qu’elles pratiquent avec passion harmonieuse », a déclaré Vallerand à PsyPost. Pour approfondir cette question, Vallerand et ses collaborateurs, dont Jean-Michel Robichaud, Sonia Rahimi et Jocelyn J. Bélanger, ont mené cinq expériences sur plusieurs années, combinant diverses méthodes d’enquête. Les recherches ont impliqué de jeunes adultes principalement situés aux États-Unis et au Canada.
Les passions, clé de voûte du bonheur
Lors de la première phase de l’expérience, Vallerand et son équipe ont cherché à déterminer si les individus avec un niveau élevé de bien-être psychologique ressentaient de la passion pour plusieurs activités de leur vie, comparativement à ceux ayant un bien-être inférieur. L’échantillon comprenait une cohorte de 409 jeunes adultes, chacun étant interrogé sur sa « passion » pour quatre activités principales : leurs études, leurs hobbies favoris, leurs relations amoureuses et leurs amitiés. Pour mesurer leur bien-être psychologique, les chercheurs ont utilisé trois échelles : la satisfaction, l’épanouissement et le sens de la vie.
Les résultats, publiés dans la revue Motivation and Emotion, ont révélé que les participants présentant les niveaux les plus élevés de bien-être psychologique étaient ceux déclarant être passionnés par les quatre activités. Ces données suggèrent que les personnes les plus heureuses sont celles engagées avec passion dans plusieurs domaines de la vie, de manière harmonieuse.
L’autorégulation dans la quête du bonheur
Lors de la seconde phase de l’étude, les chercheurs souhaitaient savoir si une personne heureuse est généralement passionnée par presque tout et n’importe quoi, ou si sa passion implique seulement des activités agréables. Ils ont pour cela étendu la première expérience en utilisant le même questionnaire, mais en ajoutant des mesures supplémentaires sur l’autorégulation, incluant les corvées et les devoirs.
L’autorégulation se définit comme la manière dont une personne se motive pour effectuer une tâche qu’elle juge « moins agréable ». Contrairement à une passion obsessionnelle, où les choix sont souvent influencés par des pressions externes ou l’estime de soi, l’autorégulation implique des actions motivées par des choix personnels.
Au total, 516 jeunes adultes ont été recrutés pour cette nouvelle expérience. Les résultats ont été similaires à ceux de la première étude, montrant que les participants les plus heureux étaient passionnés par les quatre activités de la vie. Cependant, les chercheurs ont constaté que les personnes les plus heureuses ne se passionnent pas pour tout. Les participants les plus épanouis réalisaient des tâches d’intérêt faible non pas avec passion, mais avec des niveaux plus élevés de régulation autonome, guidés par des choix et une volonté de responsabilité personnelle.
La troisième étude consistait à simuler une journée typique d’un étudiant, incluant des activités académiques et non académiques ainsi que des corvées, telles que le nettoyage. 521 étudiants ont participé au total et chacun a rendu compte de ses émotions et de son bien-être psychologique avant et après la simulation. Les chercheurs ont constaté que, bien que moins significative que dans le cadre des activités agréables, la régulation autonome permettant de réaliser les tâches ménagères était aussi associée à des émotions positives.
La quatrième étude s’est concentrée sur les motivations des participants dans la prédiction de leur engagement dans des activités agréables et non agréables. L’échantillon comprenait 526 jeunes adultes qui ont répondu à des questions sur leur orientation motivationnelle, leur passion pour les quatre types d’activités de la vie et leur autorégulation. Les résultats ont confirmé que les personnes ayant une orientation globale autonome manifestaient une passion harmonieuse pour les activités agréables et une autorégulation pour les corvées. Inversement, les participants avec une orientation contrôlée manifestaient plutôt une passion obsessionnelle.
Dans la dernière phase de la recherche, l’équipe a évalué comment les expériences quotidiennes, incluant la passion, l’autorégulation et les émotions contribuent au bien-être psychologique à long terme. Pour cela, des questionnaires sur l’orientation globale, la passion pour les activités quotidiennes et l’autorégulation des tâches ménagères ont été effectués par 255 étudiants. Six mois plus tard, ils ont été interrogés à nouveau pour évaluer les changements éventuels dans leurs réponses.
Les résultats ont montré qu’au cours de la période de six mois, les expériences quotidiennes prédisaient des changements dans le bien-être général des participants, suggérant que les émotions positives sur le plan quotidien peuvent créer un effet en spirale améliorant le bien-être psychologique à long terme.
« Avoir plusieurs activités qui nous passionnent présente certains avantages supplémentaires, car cela évite de devenir obsédé par une seule chose. Se consacrer à plusieurs choses nous protège de la passion obsessionnelle et de ses effets négatifs potentiels », a conclu Vallerand. Il a également expliqué que bien que l’étude ait été limitée par des mesures autodéclarées, il espère utiliser d’autres formes de collecte de données pour les recherches ultérieures.