« Pas avant l’année 2371 », c’est la conclusion d’une étude publiée sur le serveur arXiv, menée par le Dr Jonathan H. Jiang du Jet Propulsion Laboratory de la NASA et ses collaborateurs. Cela signifie que l’humanité ne sera a priori pas capable d’exploiter et de stocker toute l’énergie disponible sur Terre avant au moins 350 ans. Les chercheurs pointent toutefois le fait que notre évolution doit intégrer une transformation énergétique majeure.
Parmi les différents critères permettant d’évaluer les progrès d’une civilisation (croissance démographique, formation et chute des empires, capacités technologiques, etc.), le niveau de consommation d’énergie apparaît comme une mesure approximative fiable des avancées technologiques. En effet, depuis son apparition et à mesure que l’Homme a évolué, sa capacité à exploiter l’énergie n’a fait qu’augmenter — et l’on peut aisément imaginer qu’il en est de même pour de potentielles autres civilisations extraterrestres. C’est de ce constat que découle l’échelle de Kardachev.
Présentée en 1964 par l’astronome soviétique Nikolaï Kardachev, cette échelle est une méthode théorique de classement des civilisations selon leur niveau de développement technologique et leur consommation énergétique. Elle comprend trois types de civilisations : le type I est capable de stocker et d’utiliser toute l’énergie disponible sur sa planète — y compris la quantité d’énergie stellaire qui parvient jusqu’à elle ; le type II peut consommer directement l’énergie d’une étoile ; le type III est capable de capter la totalité de l’énergie émise par sa galaxie. Cette échelle a été revue en 1973 par l’astronome américain Carl Sagan, qui propose une classification plus fine, intégrant des paliers intermédiaires entre les trois types.
Une situation actuelle bien loin du type I
Une civilisation de type I, appelée « civilisation planétaire » est caractérisée par une puissance énergétique de 1016 W. Celle-ci provient à la fois de toutes les sources d’énergie disponibles sur la planète, mais aussi du rayonnement de son étoile mère. Sur Terre, l’Homme peut exploiter les combustibles fossiles, l’énergie nucléaire, éolienne, solaire, géothermique et marémotrice, entre autres. Située à environ 150 millions de kilomètres du Soleil, la Terre bénéficie chaque année d’un rayonnement d’une puissance moyenne de 1361 W/m² .
Une civilisation de type II est en théorie capable de collecter toute la puissance de son étoile, soit environ 1026 W. À titre d’exemple, le Soleil génère une puissance d’environ 4 × 1026 W. Pour exploiter et stocker autant d’énergie, une telle civilisation doit être capable de construire d’immenses infrastructures, telles qu’une sphère de Dyson. Enfin, une civilisation de type « galactique » (type 3) peut théoriquement exploiter une puissance équivalente à 1036 W. La luminosité de notre Voie lactée correspond à environ 4 x 1037 W.
Actuellement, l’humanité exploite environ 1013 W. D’après les données de l’Agence internationale de l’énergie (qui montrent qu’en 2018, l’approvisionnement total en énergie était de 1,9 x 1013 W) et sur la base de la formule élaborée par Carl Sagan, nous nous plaçons exactement au palier 0,728 de l’échelle de Kardachev et nous consommons 0,16% de la puissance disponible — nous sommes donc bien loin du type I. Pourrons-nous y parvenir un jour ? C’est ce qu’a tenté de déterminer une équipe internationale de chercheurs, dont l’étude est disponible sur le serveur arXiv.
Dans cette étude, ils analysent la consommation et l’approvisionnement en énergie issue des trois sources les plus importantes : les combustibles fossiles (par exemple, le charbon, le pétrole, le gaz naturel), l’énergie nucléaire et les énergies renouvelables, l’objectif étant d’examiner la croissance de chacune de ces sources. « Nous tenons également compte des limites environnementales suggérées par la Convention-cadre des Nations unies sur les changements climatiques, l’Agence internationale de l’énergie et celles spécifiques à nos calculs », précise l’équipe.
Une élimination nécessaire des combustibles fossiles
Comme le soulignent les chercheurs, le problème est que chaque source d’énergie a ses limites : un usage excessif des énergies fossiles pourrait par exemple avoir des effets dévastateurs sur le climat, qui pourraient entraîner l’extinction de l’humanité bien avant d’atteindre le type I — un phénomène que les scientifiques appellent « le Grand Filtre » (un concept qui désigne une succession de barrières empêchant l’émergence d’une civilisation durable). D’où l’importance de tenir compte des niveaux de pollution associés à chaque source d’énergie pour estimer la date à laquelle l’humanité pourrait basculer vers le type I.
« Nos résultats suggèrent que la meilleure estimation pour ce jour ne viendra pas avant l’année 2371 », conclut l’équipe. Doit-on s’en inquiéter ? Pas vraiment. Nombre de nos progrès technologiques, en particulier en informatique, reposent sur une efficacité accrue alliée à une consommation énergétique plus faible. En d’autres termes, nous n’aurons pas nécessairement besoin d’exploiter plus de puissance pour continuer à progresser.
L’étude met par ailleurs en évidence l’impératif d’une transition majeure dans l’approvisionnement en énergie à l’échelle mondiale, en particulier dans les années 2030. Si cette transformation énergétique entraînera dans un premier temps une faible remontée sur l’échelle de Kardachev (voire une stagnation, ou même une descente), elle constitue le meilleur moyen d’éviter les obstacles environnementaux causés par les combustibles fossiles, selon les chercheurs.