Pendant la grossesse, dès le premier trimestre, le corps de la future mère subit des adaptations, la prise de poids faisant partie des changements les plus visibles. Cependant, des modifications s’opèrent également au niveau du cerveau, et ces dernières sont spectaculaires, d’après ce qu’a récemment constaté une équipe de neuroscientifiques américains. Le groupe de recherche s’est concentré sur l’étude de l’évolution cognitive d’une femme avant sa grossesse, pendant et après l’accouchement, en se basant sur l’imagerie cérébrale (CT-Scan et IRM). Cette étude est la première du genre à offrir une cartographie détaillée des changements neurologiques dynamiques qui s’opèrent chez la femme au cours de la gestation.
L’effet des changements hormonaux provoqués par la grossesse sur le cerveau est un domaine encore peu étudié. Les chercheurs qui s’y sont intéressés jusqu’à aujourd’hui ont concentré leurs observations sur les modifications cérébrales avant et après la gestation. D’après Clare McCormack, neuroscientifique à l’Université de New York Langone Health, « nous n’avions jamais vu le cerveau d’une femme enceinte au milieu de cette métamorphose ».
Ainsi, une équipe dirigée par Emily Jacobs de l’Université de Californie à Santa Barbara a mis en lumière l’ampleur des changements cérébraux qui se produisent tout au long de la grossesse. Dans leur recherche publiée dans la revue Nature Neuroscience, Jacobs et ses collègues ont partagé des données révélant une réorganisation dynamique du cerveau d’une femme enceinte, notamment au niveau des régions impliquées dans le traitement social et émotionnel. L’équipe a également souligné que si certains changements sont éphémères, d’autres ont persisté jusqu’à deux ans après la naissance du bébé.
Pour l’étude, la Dr Elizabeth Chrastil, collègue de Jacobs au sein de l’Université de Californie à Irvine et co-auteure de l’étude, s’est portée volontaire. Âgée aujourd’hui de 43 ans, elle est devenue mère il y a cinq ans par fécondation in vitro. Au début de l’étude, elle était âgée de 38 ans et s’est glissée dans le tomodensitomètre (CT-scan) 26 fois au total. En outre, elle a subi quatre IRM pré-grossesse (3 semaines avant la FIV), 15 pendant la gestation et sept dans les deux ans qui ont suivi la naissance de son bébé. « C’était une expérience assez intense », a déclaré Chrastil. « Certaines personnes parlent de ‘cerveau de maman’ et de choses de ce genre, mais je n’ai pas vraiment ressenti cela », a-t-elle ajouté.
Des changements au niveau de la matière grise et blanche
La plasticité cérébrale augmente-t-elle durant la grossesse ? C’est ce que suggèrent les données recueillies durant l’étude. D’autres travaux de recherche menés en 2016 par Elseline Hoekzema, neuroscientifique à l’Université de Leyde aux Pays-Bas, ont montré que certains réseaux neuronaux changent avant et après la gestation. Les chercheurs avaient notamment avancé que le volume de matière grise (constituée en grande partie de corps cellulaires) diminue après l’accouchement. D’après ce qu’a déclaré Jacobs dans un communiqué de l’Université de Californie, la nouvelle étude vient confirmer ce constat, après analyse et comparaison des données IRM et CT-Scan de la Dr Chrastil.
Les images montrent que des zones clés du cortex, notamment la couche externe ridée du cerveau, se sont rétrécies, perdant 4 % de leur volume initial à partir de la neuvième semaine de gestation. Les chercheurs ont constaté que cette diminution du volume de la matière grise affectait 80 % des 400 régions cérébrales. Ils ont également souligné que la microstructure de la matière blanche a augmenté de 10 % pendant la grossesse, pour ensuite revenir à son niveau d’origine (après l’accouchement). En ce qui concerne les cavités cérébrales (les ventricules), elles se sont dilatées.
Bien qu’un cerveau qui rétrécit puisse paraître effrayant, ce n’est pas le cas selon Jacobs. Elle explique : « Ce changement reflète probablement le réglage fin des circuits neuronaux, un peu comme l’amincissement cortical qui se produit pendant la puberté. Il semble que le cerveau humain subisse ce changement chorégraphié tout au long de la gestation, et nous avons finalement pu observer le changement en temps réel ».
Pour l’instant, ces résultats soulèvent plus de questions qu’ils n’apportent de réponses étant donné que l’étude n’explique pas les changements de comportement et les sautes d’humeur qui surviennent au cours de la grossesse. D’après Chrastil, d’autres facteurs que les hormones jouent un rôle clé, notamment l’effet direct du stress et le manque de sommeil. Elle admet en outre que le cerveau des femmes est sous-étudié et « qu’il est quelque peu choquant que nous en sachions si peu à ce stade ».
Cette étude marque le lancement du projet international Maternal Brain Project avec le soutien de l’Ann S. Bowers Women’s Brain Health Initiative. Le projet vise à effectuer des recherches sur un plus grand nombre de femmes afin de déterminer l’impact des changements neurologiques sur la psychologie et la santé de la mère au cours de la grossesse. L’équipe espère que les résultats pourront apporter une meilleure compréhension de certaines pathologies qui surviennent pendant la grossesse, comme la pré‐éclampsie et la dépression post-partum.
« Les experts en neurosciences, en immunologie de la reproduction, en protéomique et en intelligence artificielle unissent leurs forces pour en apprendre plus que jamais sur le cerveau maternel », souligne Jacobs. « Ensemble, nous avons l’occasion de nous attaquer à certains des problèmes les plus urgents et les moins bien compris de la santé des femmes », conclut-elle.