Dans le domaine de la paléobiologie, la quête pour comprendre l’origine et l’évolution de la vie sur Terre est un défi constant. Les scientifiques s’efforcent de reconstituer l’histoire de la vie en examinant les indices laissés dans les roches anciennes. Récemment, des chercheurs y ont découvert des traces de molécules lipidiques (protostérols) témoins de l’existence d’un monde perdu d’eucaryotes primitifs, bien plus tôt qu’on ne le pensait. Peuplant autrefois les océans du monde, elles pourraient avoir donné naissance à des plantes et des animaux modernes, bouleversant notre compréhension de l’évolution de la vie sur Terre.
Les eucaryotes sont un groupe d’organismes dont les cellules contiennent un noyau et d’autres compartiments internes. Ils comprennent tous les animaux, les plantes, les champignons et de nombreux micro-organismes.
Jusqu’à présent, les scientifiques estimaient que les eucaryotes étaient extrêmement rares jusqu’à il y a environ 800 millions d’années, se basant sur les preuves biochimiques disponibles. Les stérols, des molécules lipidiques présentes dans les cellules eucaryotes, sont utilisés comme biomarqueurs pour la présence d’eucaryotes dans les roches anciennes, absentes jusque-là des roches datant de plus de 800 millions d’années.
Arborez un message climatique percutant 🌍
Récemment, une équipe internationale de scientifiques, menée notamment par l’Université de Brême en Allemagne et par l’Université nationale australienne à Canberra, a révélé un chapitre inexploré de l’histoire de la vie sur Terre, mettant en lumière une période où des eucaryotes primitifs ont prospéré, bien plus tôt qu’on ne le pensait auparavant, dans les milieux aquatiques, il y a entre 800 millions et 1,6 milliard d’années. Ils ont découvert ces traces de protostérols dans des roches anciennes du monde entier. Leur étude est publiée dans la revue Nature.
De la graisse dans des roches, indice de vie
L’équipe de chercheurs a mené une analyse détaillée de roches anciennes provenant de diverses régions du monde, y compris des échantillons situés à des centaines de mètres sous l’Outback australien. Ces roches, formées il y a des milliards d’années, contiennent des traces chimiques de la vie passée, y compris des molécules lipidiques qui sont les composants de base des membranes cellulaires.
Pour détecter ces molécules, les chercheurs ont dû isoler les lipides des roches, un processus qui implique généralement l’utilisation de solvants pour extraire les composés organiques des échantillons de roche. Une fois les lipides extraits, ils ont été analysés à l’aide de techniques de spectrométrie de masse, qui permettent d’identifier les structures moléculaires spécifiques.
C’est au cours de cette analyse que les chercheurs ont découvert des traces de protostérols, des molécules qui sont considérées comme des précurseurs des stérols modernes. Les stérols sont des composants importants des membranes cellulaires des eucaryotes, et leur présence dans ces roches anciennes suggère que des eucaryotes primitifs étaient présents à cette époque.
Néanmoins, le fait que les chercheurs aient trouvé des protostérols, mais pas de stérols, dans ces roches anciennes, suggère que les eucaryotes de cette époque étaient capables de réaliser seulement les premières étapes de la voie de biosynthèse des stérols, produisant des protostérols, mais pas des stérols plus complexes. Ces derniers, comme le cholestérol, sont produits par les cellules eucaryotes modernes à travers une série de réactions biochimiques, chacune nécessitant des enzymes spécifiques pour convertir une molécule en une autre.
C’est pourquoi les auteurs estiment que les voies de biosynthèse des stérols étaient moins complexes dans ces eucaryotes primitifs qu’elles ne le sont actuellement. Cette hypothèse pourrait aider les scientifiques à mieux comprendre comment ces derniers et ces voies de biosynthèse ont évolué au fil du temps.
Les premiers prédateurs, nos ancêtres
Selon les chercheurs, ces organismes auraient pu être les premiers prédateurs sur Terre. Le Dr Benjamin Nettersheim, co-auteur, déclare dans un communiqué : « Ces créatures anciennes étaient abondantes dans les écosystèmes marins du monde entier et ont probablement façonné les écosystèmes pendant une grande partie de l’histoire de la Terre ».
Les chercheurs affirment qu’elles ont vécu au moins un milliard d’années avant l’émergence d’un animal ou d’une plante, précisant que « tout comme les dinosaures, elles devaient disparaître pour que nos ancêtres mammifères puissent devenir grands et abondants ».
Le professeur Jochen Brocks de l’ANU, qui a réalisé la découverte avec le Dr Nettersheim, co-auteur, explique que ces eucaryotes primitifs étaient certainement plus complexes que les bactéries et vraisemblablement plus gros, bien que l’on ne sache pas à quoi ils ressemblaient. Il ajoute : « Nous pensons qu’ils ont peut-être été les premiers prédateurs sur Terre, chassant et dévorant des bactéries ».
Il reste, pour les auteurs, à déterminer si les protostérols ont été réellement produits par des eucaryotes ou s’ils sont le fruit de bactéries anciennes. Cette question reste ouverte et nécessite des recherches supplémentaires. Cependant, ces premiers résultats pourraient avoir des implications significatives pour la compréhension globale de l’évolution de la vie sur Terre, en comblant le fossé entre les preuves biochimiques et le registre fossile, dans une vision plus complète de l’histoire de la vie.
Les auteurs concluent qu’il s’agit d’une avancée majeure dans le domaine de la paléobiologie, offrant une perspective unique sur une période de l’histoire de la vie sur Terre qui était jusqu’à présent largement inexplorée.