La formation et l’évolution de notre système solaire restent à ce jour en grande partie mystérieuses. Leur compréhension a quelque peu évolué grâce au « modèle de Nice », suggérant que les planètes géantes auraient migré depuis une configuration initiale compacte vers leurs positions actuelles, en passant par une phase d’instabilité dynamique, où leurs orbites auraient drastiquement changé. Mais cette phase primordiale expliquant les orbites actuelles des géantes gazeuses reste encore inexpliquée. Une récente simulation informatique suggère que l’évaporation du disque de gaz entourant le Soleil naissant serait la clé expliquant les orbites relativement étalées de nos quatre géantes gazeuses. Les résultats de la nouvelle étude soulèvent également la possibilité de l’existence de la fameuse planète X (ou planète Neuf).
Toutes les étoiles peuplant les galaxies naissent de l’effondrement de nuages massifs de gaz et de poussières cosmiques. Quand l’étoile naît (le moment où elle commence à brûler son hydrogène), elle est encore entourée d’un disque de gaz. Ce disque gazeux joue ensuite un rôle fondamental dans la formation et l’évolution des planètes qui orbiteront autour de l’étoile (d’où son appellation de « disque protoplanétaire »). La formation de la plupart des systèmes solaires, dont le nôtre, semble respecter ce modèle.
Un mystère réside cependant dans la position de nos quatre géantes gazeuses (Jupiter, Saturne, Uranus et Neptune), qui se seraient apparemment positionnées depuis longtemps sur des orbites relativement oblongues, de travers et étalées. « Notre système solaire n’a pas toujours ressemblé à ce qu’il est aujourd’hui. Au cours de son histoire, les orbites des planètes ont radicalement changé », explique dans un communiqué Seth Jacobson, professeur adjoint au département des sciences de la Terre et de l’environnement à l’Université du Michigan, et l’un des auteurs de la nouvelle étude parue dans Nature. Cette dernière est co-dirigée par des chercheurs du Laboratoire d’astrophysique de Bordeaux et de l’Université de Zhejiang à Hangzhou (Chine).
Grâce à une nouvelle simulation informatique, les chercheurs proposent une approche innovante qui pourrait expliquer la position actuelle des quatre planètes géantes. L’étude pourrait aussi expliquer la façon dont les planètes telluriques (Mercure, Vénus, la Terre et Mars) se seraient formées, ainsi que la possibilité de l’existence d’une cinquième géante gazeuse.
Compléter le modèle de Nice
Le modèle de Nice se base sur le fait que les planètes gazeuses ont subi une instabilité majeure (sous la forme d’un ensemble chaotique d’interactions gravitationnelles) avant de se positionner sur leurs orbites actuelles. Leur migration depuis leurs positions compactes initiales se serait produite longtemps après (des centaines de millions d’années) la dissipation du gaz protoplanétaire, dont le Soleil était entouré. « Ce fut un changement tectonique dans la façon dont les gens pensaient au système solaire primitif », indique Jacobson.
Toutefois, le modèle de Nice n’explique pas encore complètement cette instabilité ainsi que ses conséquences sur l’ensemble du système planétaire. De plus, de nouvelles preuves, dont certaines trouvées dans des roches lunaires récupérées par les missions Apollo, suggèrent que cela s’est produit beaucoup plus rapidement.
Le trio de chercheurs de la nouvelle étude suggère alors que la position actuelle des géantes gazeuses serait due à la façon dont le disque primordial du Soleil s’est dispersé, ce qui pourrait expliquer pourquoi les planètes se sont propagées beaucoup plutôt dans le système solaire que ne le suggère le modèle de Nice. « Nous avons eu l’idée que les planètes géantes pourraient éventuellement se propager par un effet de rebond lorsque le disque se dissiperait, peut-être sans jamais devenir instable », explique Sean Raymond, astronome à l’Université de Bordeaux et l’un des auteurs de l’étude.
Cette interaction entre les planètes géantes et le disque protoplanétaire est d’ailleurs commune à beaucoup d’autres systèmes solaires, mais la situation serait différente dans le cas du nôtre, car nos géantes gazeuses sont réparties sur des orbites plus larges. Les chercheurs ont alors dénoué le problème en effectuant des simulations où le disque protoplanétaire se dissiperait de l’intérieur vers l’extérieur, ce qui serait plus cohérent avec l’instabilité proposée dans le modèle de Nice.
La simulation du nouveau modèle a alors montré quelques jeunes géantes gazeuses tournant autour d’une étoile naissante (encore entourée de son disque gazeux) sur des orbites nettes et compactes. Selon la simulation, au moment où le Soleil commence à brûler son hydrogène, il génère de la lumière et de la chaleur qui dilate et « souffle » le disque de l’intérieur vers l’extérieur. Et à mesure que le disque se dilate, son bord intérieur traverse et perturbe chacune des orbites des planètes géantes. Ces résultats confortent les indices trouvés dans les roches lunaires, car l’instabilité se produirait dès l’évaporation du disque gazeux solaire, soit de quelques millions à 10 millions d’années après la naissance du système solaire.
Par ailleurs, le nouveau modèle d’évolution du système solaire expliquerait aussi la présence de certains corps et de matériaux retrouvés dans le système solaire externe et interne (notamment dans la ceinture de Kuiper et le nuage d’Oort). Des indices géochimiques sur Terre suggèrent que ces mélanges de matériaux se sont produits pendant que notre planète était encore en train de se former.
Un indice sur l’existence de la planète X ?
D’après le modèle de Nice, le système solaire primitif aurait pu compter cinq géantes gazeuses. Mais le nouveau modèle issu de cette nouvelle étude suggère que cette planète aurait été éjectée lors de la phase d’instabilité, pour que les quatre géantes restantes puissent se retrouver sur leurs orbites actuelles. De plus, des chercheurs de Caltech auraient trouvé des preuves selon lesquelles il pourrait encore y avoir une planète non découverte à la périphérie du système solaire, à environ 50 milliards de kilomètres du soleil. Toutefois, dépourvus de preuves solides, les auteurs de la nouvelle étude préfèrent ne pas se prononcer sur cette hypothèse controversée.