Une étude de l’Institut Max Planck de biologie de Tübingen (Allemagne) et de l’Université de Californie à Davis (États-Unis) remet en question notre vision traditionnelle de l’évolution, se produisant au gré de mutations aléatoires au sein des génomes des espèces. Ces résultats vont modifier notre approche de la domestication des plantes, mais aussi des cancers.
Depuis quelque temps, des découvertes en biologie du génome inspirent un réexamen des points de vue classiques. On sait maintenant que la composition des nucléotides, les caractéristiques épigénétiques et les variations dans la réparation de l’ADN peuvent influencer la probabilité que des mutations se produisent à différents endroits du génome.
Si une mutation donne un avantage quelconque à l’individu à un moment donné, elle aura toutes les chances d’être conservée et transmise aux générations suivantes. Ce qui n’est pas le cas pour les mutations délétères qui ne seront pas transmises, car impliquant par exemple la survie de l’individu ou sa capacité de reproduction, et donc éliminées par la sélection naturelle.
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Comme le souligne Gray Monroe, professeur adjoint au Département des sciences végétales de l’UC Davis et auteur principal de l’étude, « nous avons toujours pensé à des mutations apparaissant uniquement par hasard à travers le génome. Il s’avère en réalité que le modèle de mutation n’est pas seulement très aléatoire, mais aussi non aléatoire d’une manière qui profite à la plante ».
Une plante qui protège son patrimoine
Les chercheurs se sont intéressés à l’espèce Arabidopsis thaliana (appelée communément « Arabette des dames »), pour laquelle les données génétiques sont assez nombreuses pour étudier des mutations de novo (c’est-à-dire des mutations inédites, qu’aucun des parents ne possède dans son patrimoine génétique) en grand nombre.
Les plantes ont été cultivées dans un environnement propice à leur développement, même celles présentant des mutations néfastes, qui seraient, suivant notre vision historique de l’évolution, éliminées par la sélection naturelle. Les auteurs ont ainsi pu lister et analyser statistiquement toutes les mutations apparaissant, afin de déterminer si ces mutations étaient associées à des caractéristiques épigénétiques, c’est-à-dire aux facteurs qui régulent, contrôlent les gènes, mais non codés par la séquence ADN.
Les chercheurs ont réussi à mettre en évidence des zones du génome apparaissant plus propices aux mutations, et des zones où les mutations se font plus rares. Ils ont alors lié ces différences, d’une part à la localisation de la mutation, et d’autre part à la qualité des gènes touchés. En effet, dans le premier cas, la fréquence des mutations était 58% plus faible dans les corps de gènes que dans l’espace intergénique voisin. Dans le second cas, les mutations étaient moins nombreuses au sein des gènes vitaux pour la plante, contrairement aux gènes présentant des fonctions spécialisées (par exemple, une réponse environnementale).
« Ce sont les régions du génome [contenant les gènes vitaux] les plus sensibles aux effets néfastes des nouvelles mutations », explique Weigel, « et la réparation des dommages à l’ADN semble donc particulièrement efficace dans ces régions ». Cependant, il précise que « les régions importantes […] peuvent également évoluer, bien qu’à un rythme plus lent que d’autres parties du génome ».
Des éléments protecteurs des gènes pertinents en médecine humaine
Autre découverte primordiale : les protéines liées à l’ADN impactent la survenue ou non des mutations. Les gènes essentiels à la plante ont des caractéristiques épigénétiques associées fortes (réparation, régulation de l’expression génétique) induisant un faible taux de mutation. La plante protège ces gènes vitaux des mutations, par ce que l’on appelle le biais de mutations. Pour comprendre la valeur adaptative de ce biais de mutation, prenons l’exemple des dés pipés (facteurs épigénétiques) avec une probabilité réduite de lancer des nombres faibles (c’est-à-dire des mutations délétères), et donc une plus grande probabilité de lancer des nombres élevés (c’est-à-dire des mutations bénéfiques).
Ces découvertes peuvent donc nous aider à prédire quels sont les gènes potentiellement sujets aux mutations, éléments essentiels concernant le développement des maladies chez l’Homme, comme avec les cancers. Cela permettrait de « protéger les gènes humains de la mutation », explique Monroe.
Il est évident qu’il est nécessaire de tester le degré et l’étendue du biais de mutation au-delà d’Arabidopsis (la plante de l’étude). Ce biais de mutation adaptatif étant un produit de l’évolution, il pourrait différer entre les organismes. À la lumière de ces premières conclusions, la mutation n’apparait plus comme une force sans direction dans l’évolution, mais comme un nouvel outil potentiel pour comprendre l’évolution et utile à la médecine humaine.