Une étude révèle que l’ammoniac provenant du guano de manchots et d’autres oiseaux marins joue un rôle notable dans la formation de nuages au-dessus de l’Antarctique, ce qui pourrait contribuer à moduler certains effets du réchauffement climatique sur le continent. Les concentrations d’ammoniac restent élevées même après la migration des colonies, soulignant l’importance et les avantages de la protection des oiseaux marins et de leurs habitats.
Les processus biologiques jouent un rôle clé dans la composition atmosphérique et la régulation du climat. Les organismes vivants émettent, par exemple, de la vapeur contribuant à la formation de nuages. Ces nuages influencent à leur tour le bilan radiatif de la surface de la planète, la température au sol et la fréquence des précipitations. L’altération de ces processus peut donc avoir des répercussions significatives sur le climat.
Dans les régions continentales, la vapeur organique volatile provient majoritairement de la végétation. En revanche, dans les environnements marins et polaires, où la végétation est quasi absente, la production d’aérosols est principalement associée aux émissions de diméthylsulfure (DMS) et d’iode libérés par le phytoplancton marin, à travers un mécanisme connu sous le nom de « formation de nouvelles particules » (NPF).
L’intensité des NPF a une influence particulière sur le climat des régions océaniques australes et de l’Antarctique, qui présentent des concentrations en aérosols particulièrement faibles. Dans ces zones, les sources naturelles de particules volatiles sont bien plus rares qu’en milieu forestier ou urbain.
Cependant, les mécanismes chimiques régissant la NPF dans ces régions extrêmes restent en grande partie mal compris. Des observations directes de la formation d’aérosols à partir d’acide sulfurique dans les zones polaires suggèrent que l’ammoniac joue un rôle stabilisateur dans les amas moléculaires formés lors d’événements NPF. Les nuages ainsi générés agissent comme une couche isolante dans l’atmosphère, contribuant potentiellement à un refroidissement de la surface.
Des expériences ont également mis en évidence la capacité de l’ammoniac à accroître de plusieurs ordres de grandeur la formation de particules induite par l’acide sulfurique. Les oiseaux marins, via leurs déjections, constituent la principale source d’ammoniac dans ces régions. Plusieurs études ont laissé entendre que cet ammoniac pourrait jouer un rôle déterminant dans la formation d’aérosols et de nuages.
Jusqu’à récemment, peu de mesures directes permettaient d’évaluer cette corrélation. Une étude récente, co-dirigée par l’Université d’Helsinki (Finlande), livre l’une des évaluations les plus fiables à ce jour du lien entre les émissions d’ammoniac des oiseaux marins et la formation nuageuse en Antarctique.
1 000 fois plus d’ammoniac que la moyenne grâce aux manchots
Les auteurs de l’étude se sont concentrés sur une colonie de manchots Adélie (Pygoscelis adeliae) pour réaliser leurs relevés. Espèce emblématique de l’écosystème antarctique, les manchots Adélie, avec d’autres oiseaux marins, comptent parmi les principaux émetteurs d’ammoniac de la région.
Les plus grandes colonies peuvent rassembler jusqu’à un million de couples reproducteurs répartis sur plusieurs kilomètres carrés. Il n’existe pas à ce jour d’estimation précise de la quantité de guano produite, mais certains relevés indiquent qu’une colonie peut générer plusieurs centaines de tonnes par an.
« C’est bien connu que les oiseaux marins dégagent de l’ammoniac. On peut les sentir. Ils puent », déclare Matthew Boyer, auteur principal de l’étude et spécialiste de l’atmosphère à l’Institut de recherche sur l’atmosphère et le système terrestre de l’Université d’Helsinki, dans un entretien accordé à Inside Climate News. « Mais nous ignorions leur quantité. Notre étude visait donc à quantifier l’ammoniac et son impact sur la formation des nuages », ajoute-t-il.
Les mesures ont été réalisées entre le 10 janvier et le 20 mars 2023, près de la base de recherche de Marambio, en Antarctique. Selon les données publiées dans la revue Communications Earth & Environment, la concentration d’ammoniac atteignait 13,5 parties par milliard (ppb) lorsque le vent provenait d’une colonie de 60 000 manchots Adélie, située à huit kilomètres de la base. Cela équivaut à plus de 1 000 fois la valeur de référence moyenne.
Fait notable, les concentrations restaient plus de 100 fois supérieures à cette moyenne même après la migration des manchots, à la fin février. Ce phénomène suggère que les excréments abandonnés sur place continuaient à émettre de l’ammoniac de manière significative.
Le guano de manchot pour booster la formation de nuages
Afin de déterminer si cette hausse de l’ammoniac influençait la formation d’aérosols, les chercheurs ont effectué des mesures atmosphériques supplémentaires au cours de la même journée. Lorsque le vent passait au-dessus de la colonie de manchots, le nombre — et selon certaines indications, la taille — des particules d’aérosols enregistrées sur le site augmentait de façon marquée.
Environ trois heures après un changement de direction du vent, un brouillard s’est formé. Selon les auteurs, ce phénomène était très probablement dû à l’augmentation de la concentration en particules d’aérosols. « L’ammoniac accélère la formation de particules. Sans ammoniac, l’acide sulfurique peut former de nouvelles particules, mais avec de l’ammoniac, c’est mille fois plus rapide, parfois même davantage », souligne Boyer. « On parle donc d’une vitesse jusqu’à quatre fois supérieure grâce au guano », précise-t-il.
Selon le chercheur, l’impact climatique de ces particules dépend de leur localisation. Si elles sont transportées vers l’océan, elles favorisent la formation de nuages à effet refroidissant. En revanche, si ces nuages se forment au-dessus de la glace, l’effet pourrait s’inverser, les nuages absorbant davantage d’énergie solaire que la surface glacée qu’ils recouvrent. Davantage de recherches seront nécessaires pour mieux évaluer l’effet net de l’ammoniac issu du guano sur le climat antarctique.