Une équipe de physiciens a testé une version extrême d’un paradoxe quantique en créant des photons existant simultanément dans 37 dimensions. Il s’agit d’un paradoxe illustrant la nature étrange de l’intrication quantique — qui permet aux particules de rester liées même sur de grandes distances. L’expérience montre que la physique quantique est bien plus éloignée de la physique classique qu’on le pensait.
L’une des caractéristiques principales de la physique quantique est sa non-localité intrinsèque. En effet, l’intrication quantique donne lieu à des phénomènes non locaux. Le principe de non-localité implique que deux objets distants peuvent avoir une influence l’un sur l’autre. Ainsi, deux objets intriqués ne sont pas indépendants l’un de l’autre même en étant séparés par une grande distance. En conséquence, les deux objets doivent être considérés comme un système unique.
La non-localité quantique a trouvé de nombreuses applications depuis sa découverte, dont l’informatique quantique. Cette contradiction marquée avec la physique classique est illustrée par le paradoxe de Greenberger-Horne-Zeilinger (GHZ). Elle repose sur le principe selon lequel toute intervention au niveau d’une particule entraîne immédiatement une répercussion « identique » au niveau de celle avec laquelle elle est intriquée.
Dans la version la plus simple du paradoxe, trois particules intriquées partagent une connexion. Un observateur peut obtenir des informations sur l’une des particules en effectuant des mesures au niveau des deux autres. De précédentes expériences ont montré que les particules semblent « savoir » à l’avance comment elles seront mesurées. En revanche, les particules ne peuvent pas s’influencer mutuellement par des interactions locales lorsqu’elles sont à proximité les unes des autres, ce qui contraste avec la nature non locale de l’intrication quantique.
Ces contradictions sont incompatibles avec la notion classique de réalisme local, selon laquelle les objets ont des propriétés définies indépendamment de l’observation ou de la mesure. D’un point de vue mathématique, le paradoxe de GHZ pourrait être décrit, de façon simplifiée, par un calcul qui conduirait à l’égalité de 1 et de -1, ce qui est techniquement impossible. Les physiciens ont compris depuis plusieurs décennies que le seul moyen de contourner de telles impossibilités est de maintenir les particules dans leur état intriqué.
Les chercheurs de l’Université des sciences et technologies de Chine ont exploré la version la plus extrême de ce paradoxe à ce jour. Leur expérience visait à identifier des états de photons dont le comportement GHZ diffère le plus possible du comportement classique. « Le paradoxe de type GHZ dont les événements peuvent être inclus dans le moins de contextes et qui apporte la non-classicité la plus forte reste insaisissable », expliquent-ils dans leur document d’étude, publié dans la revue Science Advances.
Des résultats encore pertinents dans 100 ans ?
Pour effectuer leur expérience, le groupe de physiciens a créé une version multidimensionnelle du paradoxe de GHZ à l’aide de flux de photons hautement cohérents. Cela signifie que les particules lumineuses sont hautement uniformes, que ce soit en couleur ou en longueur d’onde. Les flux ont ensuite été contrôlés de manière à créer plusieurs dimensions.
D’après les chercheurs, l’état des photons et leurs mesures sont régis par les mêmes lois mathématiques que celles qui sous-tendent la physique quantique. L’expérience permettrait donc de reproduire certains des effets les moins classiques qui existent. La simulation de ces effets est extrêmement difficile et nécessite des dispositifs très stables et paramétrés avec précision.
« Pour étudier expérimentalement le paradoxe de type GHZ à trois contextes, nous avons construit un processeur photonique à base de fibre capable de reproduire la probabilité de toutes les mesures de haute dimension dans le paradoxe avec le degré de liberté temporel des photons », expliquent-ils.
Les résultats ont montré que les photons peuvent adopter des états quantiques extrêmement éloignés des comportements classiques lorsqu’ils existent simultanément dans 37 dimensions distinctes. Les experts estiment en outre que ces résultats pourraient encore être pertinents dans 100 ans.
Ces nouvelles données suggèrent que la physique quantique est beaucoup plus complexe et éloignée de la physique classique qu’on le pensait jusqu’ici. Ils démontrent en outre que notre compréhension des phénomènes quantiques est encore loin d’être complète.
Néanmoins, en plus de sonder les limites des phénomènes quantiques, ces résultats pourraient avoir d’importantes implications dans le développement des bits quantiques (qubits), les unités d’information de base utilisées pour encoder les données en informatique quantique.