L’enfance représente une période cruciale dans le développement du cerveau et dans la façon dont les schémas neuronaux se construisent. Si le rôle de la plasticité cérébrale (la capacité du cerveau à remodeler ses connexions en réponse aux expériences vécues) est un phénomène bien connu en neurosciences, une nouvelle étude montre que ces expériences pourraient également modifier les neurones au niveau génétique.
Une équipe de généticiens américains du Salk Institute for Biological Studies (Californie) vient en effet de publier une étude dans la revue Science, démontrant que lorsque des souriceaux sont négligés par leur mère dans les premiers temps après leur naissance, cela enclenche la copie et le déplacement de plusieurs gènes au sein de leurs cellules cérébrales. Un processus similaire pourrait avoir lieu dans le cerveau humain, expliquant le développement de certains troubles neurologiques.
La capacité de certains gènes à produire une copie d’eux-mêmes puis à migrer dans un autre endroit du génome est un phénomène bien connu des biologistes qui l’étudient depuis plus d’un siècle. Ces copies génétiques, appelées « transposons », peuvent conduire à toute une mosaïque de cellules environnantes génétiquement différentes (dans une certaine mesure). En génie génétique, les propriétés des transposons peuvent d’ailleurs, par exemple, être utilisées comme agents mutagènes.
« Nous pensons généralement que notre ADN est quelque chose de stable et d’immuable, faisant de nous ce que nous sommes, mais en réalité c’est un système très dynamique » explique Fred Gage, généticien et auteur de l’étude. « Il s’avère que certains gènes dans vos cellules sont capables de se copier et de se déplacer, ce qui signifie que votre ADN change effectivement ».
Le fait que ce phénomène ait lieu dans les cellules cérébrales, lorsqu’elles se développent et se divisent, est également bien décrit par les biologistes. Certaines séquences transposables appelées LINEs (pour Long Interspersed Nuclear Elements ou longs éléments nucléaires intercalés) ont été observées changeant de position dans des cellules de l’hippocampe de rats il y a déjà plusieurs dizaines d’années. Mais au cours de ces dernières années, les généticiens ont tourné leur attention sur la manière dont les conditions environnementales conduisent à des modifications épigénétiques.
Certaines de ces conditions et modifications ont été identifiées comme de potentiels facteurs concourant au développement de troubles neurologiques comme l’autisme. Cependant, l’effet de l’environnement sur les transposons a longtemps été négligé à cause de l’absence de connaissances suffisantes relatives à notre génome. « Même si nous savons depuis un moment que l’ADN des cellules peut être modifié, nous ne savions pas si ces changements étaient aléatoires ou non » explique Tracy Bedrosian, auteure principale de l’étude. « Peut-être existe-t-il des facteurs cérébraux ou environnementaux causant des modifications génétiques plus ou moins fréquentes ».
Pour leurs travaux, les auteurs ont étudié le mécanisme de copie et de déplacement du rétrotransposon (le gène initial perdure après copie, contrairement au transposon pour lequel le gène initial disparaît) appelé « LINE-1 » dans les cellules en division d’hippocampes de souriceaux. Plus particulièrement, ceux-ci ont cherché à savoir si l’environnement des sujets jouait un rôle dans ce processus. Plutôt que de créer un environnement stressant pour un échantillon de jeunes souris, les chercheurs ont simplement observé la manière dont les souris ont élevé leur progéniture pendant 2 semaines.
Par suite, les souriceaux ont été divisés en plusieurs groupes en fonction de l’attention portée par leur mère (fréquence de léchage, divertissement, repos, etc). En analysant les cellules de l’hippocampe des jeunes souris, les généticiens ont observé une relation explicite entre la façon dont les mères se sont occupées de leurs enfants et le nombre de copies de LINE-1. Moins les souris s’occupent de leurs souriceaux, plus les quantités de copies et de déplacements du gène sont élevées.
Étonnement, cela n’a pas été le cas pour d’autres types de séquences transposables, indiquant qu’un mécanisme spécifique devait affecter LINE-1. Après une analyse plus poussée, les auteurs ont mis en évidence la responsabilité de facteurs épigénétiques. Comparée à d’autres transposons, LINE-1 présentait moins de groupes méthyle, la signature caractéristique d’une modification épigénétique.
Dans cette vidéo, le généticien Fred Gage explique plus en détails les implications de cette découverte :
« Ces travaux sont en accord avec les études portant sur la négligence infantile et montrant également des schémas modifiés d’ADN via la méthylation de certains gènes » conclut Gage. « C’est une découverte vraiment prometteuse, car lorsque l’on comprend un mécanisme, l’on peut commencer à développer des solutions ». Des études plus approfondies devront êtres menées pour savoir si des processus similaires affectent aussi l’Homme. Toutefois, cela montre que les expériences de l’enfance ont théoriquement le pouvoir de modifier notre ADN.