De nombreuses études scientifiques ont maintes fois démontré à quel point (et à quelle dose) le plomb est toxique pour l’homme. L’exposition prolongée au métal, surtout dès l’enfance, peut provoquer des effets néfastes sur la santé à long terme. Bien que beaucoup de pays limitent au mieux son utilisation, changer des décennies d’habitudes n’est pas chose facile. Des scientifiques de l’Université Duke et de l’Université d’État de Floride alertent par une révélation alarmante sur l’impact du plomb sur le quotient intellectuel (QI). Selon leur nouvelle étude, l’importante exposition au plomb de l’essence de plus de 170 millions d’Américains aurait provoqué la diminution de 824 millions de points cumulés de QI dans le pays (soit près de trois points par personne), depuis les années 40. Pire encore, les personnes nées dans les années 60-70 (quand l’utilisation du plomb a atteint son pic) pourraient avoir perdu six à sept points de QI au total.
Dans notre vie quotidienne, le plomb est inclus dans la composition de beaucoup d’objets et matériaux que nous utilisons. Cela va des plus anodins, tels que des jouets, à l’essence, les revêtements automobiles, la peinture, la plomberie, etc. Les utilisateurs ne se rendent pas compte de leur exposition, car le plomb n’a ni odeur ni autre signe distinctif pour l’identifier. L’intoxication est alors soit sous-estimée, soit tout simplement non perçue.
Dans les années 20, le plomb a en effet commencé à être ajouté dans la composition de l’essence pour maintenir les moteurs en bon état. Depuis, l’utilisation de l’essence avec plomb n’a pas arrêté d’augmenter jusqu’en 1996. Les rejets de gaz d’échappement au plomb, produits par ces carburants, ont alors contaminé les poumons de millions de personnes. De plus, le plomb est rejeté par un très grand nombre d’industries et contamine facilement l’eau potable, que des millions de ménages et d’animaux boivent.
Ingéré et/ou inhalé, le plomb est hautement toxique une fois arrivé dans la circulation sanguine. En atteignant le cerveau, il interfère avec le développement neuronal et dérègle l’activité des neurotransmetteurs. « Dans la circulation sanguine, il est capable de passer dans le cerveau à travers la barrière hématoencéphalique, qui est normalement efficace pour protéger le cerveau de beaucoup de toxines et pathogènes, mais notamment pas toutes », explique dans un communiqué l’auteur principal de l’étude, Aaron Reuben, candidat au doctorat en psychologie clinique à l’Université Duke.
Bien que l’exposition au plomb soit nocive quelque soit l’âge, elle est surtout néfaste pour les enfants. En effet, le cerveau se développe surtout tout au long de l’enfance, et l’intoxication au plomb peut entraver cette croissance. Ce qui peut entraîner une perte de capacités cognitives, des difficultés d’apprentissage permanentes et des problèmes comportementaux, facteurs qui seront déterminants pour leur avenir.
Révélation choquante
Les résultats de la nouvelle étude, publiée dans PNAS, suggèrent que les Américains nés avant 1996 (avant l’interdiction de l’essence au plomb aux États-Unis) pourraient être plus exposés aux risques de vieillissement accéléré du cerveau. De plus, les auteurs ont collecté des données sur les niveaux de plomb dans le sang des enfants du pays et le taux d’utilisation de l’essence au plomb, afin de calculer l’exposition pour chaque Américain en vie en 2015. Grâce à ces données, l’impact de ces intoxications sur les capacités intellectuelles des habitants a été mis au grand jour.
Le groupe de chercheurs a alors révélé qu’en 2015, plus de la moitié de la population avait des taux cliniquement dangereux de plomb dans le sang durant l’enfance. D’après les experts, cette exposition a peut-être entraîné la baisse importante de QI mentionnée plus haut, et les exposait à un risque plus élevé de développer d’autres problèmes de santé à long terme, tels qu’une atrophie cérébrale, des troubles mentaux et des maladies cardiovasculaires à l’âge adulte. « J’ai été franchement choqué. Et quand je regarde les chiffres, je suis toujours choqué même si je m’y attendais », admet le co-auteur de l’étude Michael McFarland, sociologue à l’Université d’État de Floride.
Les chercheurs ont montré que dans les années où la consommation d’essence au plomb a été la plus élevée (1960-1970), presque toutes les personnes nées à cette époque ont été exposées à de très importants niveaux de plomb, ce qui explique leur baisse potentiellement plus importante de QI (6 à 7 points). Encore plus préoccupant : les enfants enregistrant les niveaux les plus élevés de plomb dans leur sang (huit fois plus que la limite sanitaire actuelle) ont peut-être perdu plus de sept points de QI en moyenne.
La baisse de quelques points de QI peut sembler à première vue anodine, mais les chercheurs soulignent que c’est amplement suffisant pour potentiellement faire passer les personnes qui auraient eu « de base » des capacités cognitives inférieures à la moyenne (QI inférieur à 85), à un QI les classant comme mentalement déficientes (inférieur à 70). Malgré les prises de décisions du gouvernement américain pour limiter l’utilisation du plomb, les taux de plomb dans le sang des enfants d’aujourd’hui sont encore beaucoup plus élevés qu’avant le début de l’ère industrielle.
Les Afro-Américains souffriraient d’une exposition supérieure
La prochaine étape de l’étude sera de mettre en évidence les disparités raciales de l’exposition au plomb chez les enfants, dans l’espoir de pallier les inégalités en matière de santé, notamment celles subies par les enfants afro-américains, qui ont été exposés plus souvent au plomb et en plus grande quantité que les « blancs américains ».
Le groupe de chercheurs a en effet souligné dans son étude que les adultes afro-américains de plus de 45 ans présentaient des niveaux de plomb dans le sang considérablement plus élevés que leurs homologues blancs, et cela même pour ceux qui sont nés après 1996. Cela s’explique probablement par l’existence de communautés défavorisées et à prédominance noire, aux États-Unis. Ces zones souffrent plus du non-respect des normes sanitaires. D’autres études ont d’ailleurs montré que les enfants qui vivent dans des villes avec des populations à prédominance noire étaient plus susceptibles d’avoir des taux plus élevés de plomb dans le sang.