S’il y a quelques années encore, la liberté de choisir son orientation sexuelle et surtout de disposer de son corps étaient des droits inaliénables dans la plupart des pays développés, depuis peu ces droits sont mis à mal. Le recul des avancées sociétales inquiète. Mais, en parallèle, des avancées majeures se dessinent pour la fécondation des personnes trans, alors que leur envie de fonder une famille est à peine discutée. Cela devient encore plus complexe quand il s’agit d’hommes trans voulant avoir leurs propres bébés. Mais récemment, une chercheuse belge a présenté une nouvelle technique, combinant deux méthodes existantes, évitant tous les désagréments des traitements de fertilité sur les personnes trans.
Il s’agit d’enlever une partie de l’ovaire et de lui administrer ces traitements, mais à l’extérieur du corps, favorisant la production d’ovules, puis de les réimplanter chez des femmes, pour ensuite les fertiliser. La technique pourrait offrir plus d’options aux hommes trans souhaitant avoir des bébés en utilisant leurs propres ovules, mais également éviter à certaines personnes de transmettre des maladies génétiques à leurs enfants, ou à stimuler la fertilité.
Les hommes transgenres sont nés avec des attributs féminins, mais s’identifient à un homme. Certains hommes trans subissent un traitement avec l’hormone testostérone pour développer des traits plus masculins, tels que des poils sur le visage et le corps et une voix plus grave. Le déroulement du traitement varie et dépend des préférences de l’individu, ainsi que de l’âge auquel il a commencé les soins médicaux d’affirmation de genre.
Il existe une poignée d’options, concernant la fécondation, pour les personnes qui choisissent un tel traitement, mais qui souhaitent avoir un jour des enfants biologiques. Les adultes peuvent congeler leurs œufs, par exemple. Mais cela implique généralement d’arrêter le traitement à la testostérone et de permettre le retour d’un cycle menstruel, ce qui peut prendre des mois. Des médicaments à base d’hormones sont utilisés pour stimuler les ovaires afin qu’ils libèrent plusieurs ovules matures, qui sont ensuite collectés lors d’une intervention chirurgicale impliquant des sondes vaginales. La procédure peut être particulièrement pénible pour les hommes transgenres. Sans compter que les enfants, inscrits dans ce parcours de changement de genre et n’ayant pas atteint la puberté, ne peuvent pas congeler leurs ovules.
En juillet dernier, Antonia Christodoulaki de l’Université de Ghent en Belgique, a présenté des conclusions importantes concernant ces procédures, lors de la réunion annuelle de la Société européenne de reproduction humaine et d’embryologie à Milan, en Italie. Elle y a déclaré : « Chaque personne devrait avoir le droit de se reproduire ». La nouvelle recherche suggère que deux technologies existantes, utilisées de concert, pourraient augmenter les chances d’un homme trans d’utiliser ses ovules pour créer un embryon sain — et potentiellement avoir un bébé — sans avoir à subir de traitements de fertilité typiques.
Miser sur le tissu ovarien et non plus sur les seuls ovules
Il faut savoir que les ovaires contiennent des centaines de milliers d’œufs sous-développés, maintenus dans une sorte d’animation suspendue. Chaque mois, l’un mûrit et est libéré, potentiellement pour être fécondé par le sperme et créer un embryon.
Mais lorsqu’une personne envisage des traitements d’affirmation de genre masculin en voulant des enfants biologiques, il est conseillé de faire prélever et congeler les ovules de la même manière qu’une fécondation in vitro (FIV) traditionnelle — traitements hormonaux stimulant la production d’ovules et prélèvement de ces derniers par sondes vaginales —, avec des conséquences particulièrement désagréables pour une personne qui ne s’identifie pas comme une femme (sensibilité des seins et crampes).
La technique sur laquelle s’appuie Antonia Christodoulaki consiste à prélever des ovules dans les ovaires d’hommes transgenres et à les préparer à la fécondation dans un processus entièrement réalisé à l’extérieur du corps. En d’autres termes, on retire un petit morceau de tissu ovarien sur lequel on applique les traitements de fertilité pour qu’il produise des ovules, puis on les récupère. Sans compter que la récupération des ovules a tendance à donner environ 10 ovules à chaque fois, un petit morceau d’ovaire pourrait être utilisé pour produire 100 ovules.
De plus, cela a déjà été réalisé chez des personnes ayant survécu à un cancer. L’année dernière, trois sociétés de médecine reproductive basées aux États-Unis ont publié un article concluant que la technique ne devrait plus être considérée comme expérimentale.
Pour tester si cette technique peut effectivement fonctionner sur les personnes transgenres, Antonia Christodoulaki et ses collègues, selon le MIT Technology Review, ont retiré les ovules qui étaient à quelques jours d’être libérés par des ovaires donnés par 14 hommes trans. Ils ont fait de même avec des ovules tout aussi immatures donnés par des femmes cisgenres. Après 48 heures de culture en laboratoire, les scientifiques ont essayé de féconder la moitié des ovules (ceux qui ont mûri) avec du sperme. Mais seuls 45% de ceux issus d’hommes trans ont pu l’être (contre 84% pour les femmes).
Par suite, au moment où les embryons avaient cinq jours — le moment où ils seraient normalement transférés dans l’utérus d’une personne —, seuls 2% de ceux générés à partir d’ovules d’hommes trans étaient encore en vie, contre 25% des embryons issus d’ovules de femmes cis. Selon les auteurs de l’étude, le problème se situerait dans le cytoplasme des œufs — le contenu de la cellule à l’extérieur du noyau, qui contient l’ADN.
Changer l’environnement de l’œuf
Pour tester si le fait de modifier de cytoplasme pourrait être la solution, l’équipe a d’abord retiré les noyaux contenant de l’ADN d’ovules donnés par des femmes cisgenres. Ils ont ensuite inséré, à la place, les noyaux des œufs d’hommes trans. Ces ovules ont ensuite été fécondés avec du sperme donné. Cette technique est déjà connue et utilisée sur des personnes cisgenre.
D’ailleurs, en mars 2017, après un long débat public, le Royaume-Uni est devenu le premier pays à autoriser une clinique de fertilité à proposer un traitement similaire, mais uniquement lorsqu’un couple présente un risque très élevé d’avoir un enfant atteint d’une maladie génétique potentiellement mortelle. Dans une vidéo de la clinique New Hope Fertility, un technicien prélève le noyau d’un ovule donneur puis injecte l’ADN d’une autre femme. Le processus, appelé « transfert nucléaire de fuseau », a pour objectif de créer un ovule sain pour une femme plus âgée ou atteinte d’une maladie génétique.
De plus, A. Chritodoulaki et ses collègues ont publié des résultats sur cette technique en début d’année assurant l’efficacité du transfert nucléaire humain, soit pour minimiser le risque de transmission des maladies de l’ADN mitochondrial (ADNmt), soit pour le traitement de l’infertilité.
Dans la présente étude, sur les 29 embryons résultants, six ont survécu jusqu’au stade de cinq jours, soit un taux de réussite de 20%. Bien que faible, ce taux est proche du taux de réussite de 25% observé chez les embryons générés avec des ovules de femmes cisgenre.
La procédure, si elle peut être mise en œuvre, élargit alors la portée des droits reproductifs pour tenir compte de la diversité des besoins en soins de santé des individus. Néanmoins, Christodoulaki déclare au MIT Technology Review : « Nous ne connaissons toujours pas les effets à long terme sur les bébés [qui seraient] nés. C’est une technologie très prometteuse… mais je ne dirais pas que nous sommes prêts pour [l’utilisation] clinique ».