Aditi Shankar, 8 ans, est la première enfant du Royaume-Uni à avoir bénéficié d’une transplantation rénale qui ne nécessitera pas la prise d’immunosuppresseurs à vie. Souffrant d’une maladie rare appelée dysplasie immuno-osseuse de Schimke (SIOD), la fillette a à la fois subi une transplantation de cellules souches de moelle osseuse et d’un rein, provenant tous deux de sa mère. Cette technique vise à reprogrammer son système immunitaire de sorte qu’il reconnaisse l’organe comme étant sien.
Le rejet de greffe est l’un des plus grands défis de la transplantation d’organes. En étant attaqués par le système immunitaire du receveur, les greffons ont une durée de vie limitée et exposent les patients à des conditions sanitaires débilitantes. Pour pallier ce rejet, les patients ont traditionnellement recours à l’immunosuppression médicamenteuse tout au long de la vie. Cette médication a des effets délétères, notamment en augmentant le risque d’infection, de cancer et d’autres complications.
Malgré une adhésion totale observée dans certains cas, un risque de rejet chronique subsiste et réduit la durabilité du greffon. L’on estime que les reins transplantés provenant de donneurs décédés ont une viabilité moyenne de 11,7 ans. Cette durée de vie est de 19 ans pour ceux provenant de donneurs vivants. Les enfants ayant besoin d’une transplantation d’organe doivent ainsi subir plusieurs interventions tout au long de leur vie.
La SIOD dont souffre la petite Aditi est une maladie héréditaire rare affaiblissant son système immunitaire. Cette affection provoque également une défaillance rénale et exige une transplantation afin de rallonger la durée de vie du patient. Cependant, l’implantation d’un nouveau rein dans ce cas précis est extrêmement délicate. Les médecins ont alors eu recours à un nouveau protocole qui, faisant d’une pierre deux coups, renforce son système immunitaire et élimine le risque de rejet de greffe sans besoin d’immunosuppresseurs.
Un protocole de double transplantation
Initialement développé par des chercheurs de Stanford, le nouveau protocole est baptisé « double greffe d’organe immunitaire/solide », ou DISOT. Tel que son nom l’indique, il s’agit d’une combinaison de deux transplantations, qui convient précisément aux patients souffrant de SIOD. « Il s’agissait de patients uniques chez lesquels nous avons dû procéder à une greffe de cellules souches et à une greffe de rein », a indiqué dans un communiqué Alice Bertaina, une des conceptrices de la technique, qui a obtenu l’approbation de la Food and Drug Administration américaine (FDA) en mai 2022.
DISOT consiste en quelque sorte à reprogrammer le système immunitaire du receveur par le biais de cellules souches de moelle osseuse, de sorte à accepter le prochain greffon rénal comme étant sien. L’idée a été avancée pour la première fois il y a plusieurs décennies, mais sa concrétisation comportait des défis majeurs. En effet, la transplantation de cellules souches de moelle osseuse confère un système immunitaire génétiquement neuf, car elles se convertissent en cellules immunitaires sanguines. Initialement conçue pour les personnes atteintes de leucémie, cette technique comporte le risque que les cellules nouvellement obtenues s’attaquent à celles de l’hôte. Il s’agit d’une complication appelée maladie du greffon contre l’hôte (GVHD) et qui peut être fatale dans les cas sévères.
Des médecins travaillant sur des patients adultes ont testé la double transplantation à partir de donneurs vivants. Cela fonctionne relativement bien lorsqu’il s’agit d’un donneur 50% compatible (c’est-à-dire un parent direct). Cependant, certains receveurs ne pouvaient suspendre les immunosuppresseurs, tandis que d’autres présentaient des cas particulièrement graves de GVHD. L’équipe de Bertaina a alors amélioré le protocole en introduisant une modification dans les greffons de cellules souches.
Après avoir collecté les cellules souches du donneur, les chercheurs procèdent à une déplétion (réduction) des lymphocytes T alpha-bêta. Cette technique permet d’éliminer les cellules immunitaires provoquant les réactions liées à la GVHD et assure la transplantion des greffes 50% compatibles. 60 à 90 jours après l’intervention, les cellules T alpha-bêta du patient reviennent à leur taux normal et rétablissent une fonction immunitaire optimale.
Grâce à cette technique, « il est possible de libérer en toute sécurité les patients de l’immunosuppression à vie après une transplantation rénale », affirme Bertaina. Le protocole étant relativement peu agressif, il est adapté aux enfants souffrant de troubles immunitaires — tels que la SIOD — et qui ne peuvent recevoir de greffe de cellules souches conventionnelle ou d’autres types de transplantation.
La fillette jouit aujourd’hui d’une excellente qualité de vie
Les trois premiers enfants SIOD ayant bénéficié du DISOT ont obtenu leurs cellules souches d’un de leurs parents. Ils se sont remis de la première transplantation après environ 5 à 10 mois. Dans un deuxième temps, ils ont obtenu les reins de ces mêmes parents. L’un d’eux a subi un léger épisode de GVHD, qui a rapidement été traité par médication. Des immunosuppresseurs ont également été administrés quelques semaines après la transplantation rénale, afin d’éviter tout risque potentiel. Mais après arrêt total des traitements, les enfants vivent aujourd’hui avec un rein pleinement fonctionnel et peuvent aller à l’école et faire du sport, comme tous les enfants de leur âge.
Aditi est la première enfant du Royaume-Uni à avoir bénéficié du protocole DISOT et la première du pays à ne pas avoir besoin d’immunosuppresseurs après une transplantation rénale. Après avoir reçu les greffons de sa mère, elle a pu arrêter avec succès ses traitements, environ 1 mois après l’implantation du rein. Cette intervention a eu lieu 6 mois après la greffe de cellules souches de moelle osseuse. La petite est désormais de retour à l’école et peut même nager, sans aucun signe de défaillance. Ses médecins présenteront leurs résultats au cours de la conférence de la Société européenne de néphrologie pédiatrique la semaine prochaine.
Actuellement, l’équipe de Stanford travaille à étendre le protocole à davantage de types de patients, tels que les enfants ayant reçu un premier rein, mais qui les rejettent. En outre, l’approbation de la FDA ne concerne pas uniquement la SIOD, mais également la cystinose, le lupus systémique et la perte d’une greffe de rein antérieure en raison d’une glomérulosclérose segmentaire focale. DISOT pourrait résoudre ces troubles immunitaires sous-jacents avant une transplantation rénale. Les chercheurs comptent également l’adapter à d’autres greffes d’organes solides, tels que ceux provenant de donneurs décédés.