Prédites dès 1915 par Albert Einstein avec sa théorie de la relativité générale, les ondes gravitationnelles ont été détectées pour la première fois en 2016. Selon le modèle standard de la cosmologie, de nombreux événements cosmiques sont la source d’ondes gravitationnelles, des collisions de trous noirs et d’étoiles à neutrons aux supernovas à effondrement de cœur, en passant par le Big Bang lui-même. Et même si elles finissent par s’affaiblir en parcourant l’espace-temps et deviennent très difficiles à détecter, toutes ces ondulations sont censées continuer à imprégner l’Univers de leur présence, constituant un fond d’ondes gravitationnelles (à l’image du fond cosmologique diffus). Et pour la première fois, des cosmologistes pourraient avoir découvert des indices de sa présence.
De la même manière que les photons du fond diffus cosmologique et les neutrinos du fond de neutrinos tapissent l’Univers, les ondes gravitationnelles issues des nombreux événements cosmiques chaotiques devraient elles aussi constituer un fond, certes extrêmement faible, mais détectable. La détection d’un tel phénomène pourrait apporter des informations inestimables sur l’histoire et la dynamique de l’Univers. Le signal récemment détecté par les chercheurs pourrait être la confirmation de l’existence d’un fond d’ondes gravitationnelles, même si toutes les précautions quant à l’interprétation des données doivent être gardées pour le moment.
« C’est incroyablement excitant de voir un signal aussi fort émerger des données. Cependant, comme le signal d’onde gravitationnelle que nous recherchons couvre toute la durée de nos observations, nous devons bien comprendre ces données. Nous sommes dans une situation intéressante, où nous pouvons fortement exclure certaines sources de bruit connues, mais nous ne pouvons pas encore dire si le signal provient bien des ondes gravitationnelles. Pour cela, nous aurons besoin de plus de données », déclare l’astrophysicien Joseph Simon de l’Université du Colorado.
Néanmoins, la communauté scientifique est enthousiasmée. Plus de 80 articles citant la recherche ont été publiés depuis la publication de l’équipe sur le serveur arXiv en septembre de l’année dernière. Les équipes internationales ont travaillé dur, analysant les données pour tenter de réfuter ou de confirmer les résultats. S’il s’avère que le signal est réel, il pourrait marquer une toute nouvelle étape de l’astronomie des ondes gravitationnelles, et peut-être même révéler des phénomènes astrophysiques entièrement nouveaux.
Des pulsars pour détecter les ondes gravitationnelles
Le signal provient d’observations d’un type d’étoile à neutrons appelée pulsar. Ce sont des étoiles à neutrons qui sont orientées de telle manière qu’elles projettent des faisceaux d’ondes radio depuis leurs pôles alors qu’elles tournent à des vitesses millisecondes. Ces flashs sont chronométrés avec une précision incroyable, ce qui signifie que les pulsars sont probablement les étoiles les plus utiles de l’Univers.
Les variations de leur timing peuvent être utilisées pour la navigation, pour sonder le milieu interstellaire et étudier la gravité. Et, depuis la découverte des ondes gravitationnelles, les astronomes les utilisent également pour les rechercher. En effet, les ondes gravitationnelles déforment l’espace-temps au fur et à mesure qu’elles se propagent, ce qui devrait théoriquement changer la synchronisation des impulsions radio émises par les pulsars.
« Le fond d’ondes gravitationnelles étire et rétrécit l’espace-temps entre les pulsars et la Terre, ce qui fait que les signaux des pulsars arrivent un peu plus tard (étirement) ou plus tôt (rétrécissement) que s’il n’y avait pas d’ondes gravitationnelles », explique l’astrophysicien Ryan Shannon de l’Université de technologie de Swinburne. Un seul pulsar avec un battement irrégulier ne serait pas nécessairement significatif. Mais si un grand nombre de pulsars affichait un modèle corrélé de variation temporelle, cela pourrait constituer une preuve du fond d’ondes gravitationnelles.
Une telle collection de pulsars est connue sous le nom de réseau de synchronisation de pulsar, et c’est ce que l’équipe NANOGrav a observé — 45 des pulsars millisecondes les plus stables de la Voie lactée. Ils n’ont pas tout à fait détecté le signal qui confirmerait le fond d’ondes gravitationnelles. Toutefois, ils ont mis en évidence quelque chose de très intéressant : un signal de « bruit commun » qui varie d’un pulsar à l’autre, mais affiche des caractéristiques similaires à chaque fois.
Un résultat enthousiasmant, mais des données supplémentaires nécessaires
Ces écarts ont entraîné des variations de quelques centaines de nanosecondes au cours des 13 années de la course d’observation. Il y a d’autres choses qui pourraient produire ce signal. Par exemple, un réseau de synchronisation pulsar doit être analysé à partir d’un cadre de référence qui n’accélère pas, ce qui signifie que toutes les données doivent être transposées au centre du Système solaire, connu sous le nom de barycentre, plutôt que de la Terre.
Si le barycentre n’est pas calculé avec précision — une chose plus délicate qu’il n’y paraît, car c’est le centre de masse de tous les objets en mouvement dans le Système solaire — alors l’on pourrait obtenir un faux signal. L’année dernière, l’équipe de NANOGrav a annoncé qu’elle avait calculé le barycentre du Système solaire avec une précision de moins de 100 mètres.
Il y a encore une chance que cet écart puisse être la source du signal qu’ils ont trouvé, et plus de travail sera nécessaire pour le confirmer. Puisque les ondes gravitationnelles nous montrent les phénomènes que nous ne pouvons pas détecter électromagnétiquement — comme les collisions de trous noirs —, cela pourrait aider à résoudre des énigmes telles que le problème final du parsec, qui implique que les trous noirs supermassifs pourraient ne pas être capables de fusionner, et nous aider à mieux comprendre l’évolution et la croissance galactique.
Et, en allant encore plus loin, les ondes gravitationnelles primordiales issues du Big Bang pourraient être à notre portée. « C’est une première étape possible vers la détection des ondes gravitationnelles à fréquence nanohertz. Je mettrais en garde le public et les scientifiques de ne pas surinterpréter les résultats. Au cours des deux prochaines années, je pense que des preuves apparaîtront quant à la nature du signal », déclare Shannon.
D’autres équipes travaillent également sur l’utilisation de réseaux de synchronisation pulsars pour détecter les ondes gravitationnelles. OzGrav, qui fait partie du Parkes Pulsar Timing Array, publiera bientôt une analyse de ses ensembles de données récoltées sur 14 ans. L’European Pulsar Timing Array est également penché sur l’étude du phénomène.