La déforestation due à l’abattage est déjà un problème de taille à elle seule, et lorsque des phénomènes naturels (influencés ou non par l’Homme) s’y ajoutent, cela peut lourdement s’accélérer. Selon une nouvelle étude portant sur 3 millions d’observations, le réchauffement climatique (majoritairement dû aux activités humaines) serait en train de dangereusement assécher les sols du continent européen, entrainant la mort de plus en plus d’arbres.
L’étude de la mort des arbres est une tâche très difficile lorsqu’elle doit être faite à grande échelle. De nombreuses équipes de recherche utilisent donc des relevés par satellite, ou ne se concentrent que sur des zones restreintes. Mais avec l’analyse par satellite, il est difficile de savoir si un arbre est mort naturellement ou de la main de l’Homme… C’est principalement pour cette raison qu’une vaste étude de terrain était nécessaire pour faire le point sur la situation, et c’est là que sont intervenus Jan-Peter George et ses collègues, de l’observatoire de Tartu en Estonie.
Les résultats de leur étude, déjà disponibles sur le serveur de prépublication bioRxiv, arrivent alors que de plus en plus de preuves fournies par des chercheurs du monde entier montrent que des phases de sécheresse toujours plus sévères dues au changement climatique tuent davantage d’arbres en Europe. Rien qu’en 2018 par exemple, 110 000 hectares de surface forestière ont été endommagés par la sécheresse en Allemagne, pays particulièrement touché.
Arborez un message climatique percutant 🌍
Un taux de mortalité des arbres en croissance depuis 2012
Pour cette nouvelle étude d’envergure, les chercheurs ont analysé environ 3 millions d’observations de terrain effectuées dans le cadre de l’initiative ICP-Forests, mise en place dans les années 1980. En utilisant cet ensemble de données, l’équipe a pu exclure les abattages d’arbres. L’analyse a également exclu les frênes, qui sont en train de disparaître sous l’effet conjugué d’une maladie fongique et d’un coléoptère invasif.
Les chercheurs ont constaté que les taux de mortalité annuels augmentent pour toutes les espèces d’arbres. L’épicéa commun est le plus durement touché, avec des taux de mortalité supérieurs de 60% en moyenne entre 2010 et 2020 par rapport à la période 1995-2009. Pour le pin sylvestre, les taux sont en hausse de 40%, le hêtre européen de 36% et le chêne de 3,5%.
Qui plus est, pour toutes les espèces et toutes les régions, les taux de mortalité annuels sont positifs depuis 2012. Un taux de mortalité annuel positif signifie que plus d’arbres meurent que d’habitude, par rapport à la moyenne à long terme. Cela pourrait signifier que les forêts européennes ont atteint un point critique en 2012.
Les chercheurs ont également examiné l’humidité du sol, estimée par un modèle alimenté par des données sur les précipitations et le ruissellement. Ils ont constaté qu’une humidité du sol anormalement basse était le principal facteur de mortalité des arbres au cours de l’année suivante.
Dans les régions septentrionales telles que la Scandinavie, beaucoup de gens pensent encore que les forêts locales ne seront pas touchées par les sécheresses dues au réchauffement, mais toutes les forêts d’Europe sont déjà concernées, y compris les forêts boréales du nord, déclarent les chercheurs.
Les scientifiques précisent qu’ils ne savent pas encore exactement pourquoi les arbres meurent souvent un an ou deux après les phases de sécheresse, mais il existe plusieurs hypothèses : la principale étant que le « stress hydrique sévère » prive les arbres de ressources tout en endommageant les tissus conducteurs d’eau, ce qui les rend vulnérables à d’autres stress tels que les parasites et les maladies… Par exemple, les conifères touchés par la sécheresse produisent beaucoup moins de résine que la normale, or la résine est ce qui les protège des scolytes — des coléoptères qui pondent sous l’écorce des arbres, les larves se nourrissant de la sève, ce qui peut mener à leur mort.
Des forêts toujours plus vulnérables aux incendies
L’augmentation de la mortalité des arbres aura de nombreuses conséquences. Premièrement, les forêts absorberont moins de carbone à mesure que les vieux arbres seront remplacés par des jeunes. En outre, l’Europe souffre déjà d’incendies de forêt toujours plus fréquents et plus graves, et l’augmentation du nombre d’arbres mourants ne fera qu’accroître ce danger. Au fur et à mesure que s’accumulent les matières sèches et mortes, les forêts seront beaucoup plus vulnérables aux incendies de forêt.
L’industrie du bois pourrait également être touchée. L’une des raisons pour lesquelles l’épicéa commun est l’espèce la plus touchée est qu’il a été planté dans des zones situées en dehors de son aire de répartition naturelle pour la production de bois, généralement dans des plantations de monoculture. Selon les chercheurs, les propriétaires forestiers devraient commencer à planter un mélange d’espèces pour rendre les plantations plus résilientes.
Il pourrait également y avoir des conséquences économiques. En effet, les prix du bois en Europe sont déjà élevés en raison de la demande des États-Unis et de la Chine. L’augmentation des pertes d’arbres pourrait faire grimper les prix davantage et avoir des répercussions sur le secteur de la construction, et au-delà.
Le manque d’eau dû au réchauffement climatique est loin d’être la seule menace qui pèse sur les arbres d’Europe. Des parasites et des maladies exotiques ont décimé les ormes et maintenant les frênes, et menacent d’autres arbres, notamment les chênes. La récolte de bois a également augmenté de 50% depuis 2016.
Cette étude prouve une fois de plus que pour protéger nos forêts du changement climatique, pour les rendre plus résilientes, nous devons les diversifier. Pour certains experts, cette étude est un « réveil brutal », mais elle pourrait signifier que les forêts de demain seront en fait plus biodiverses, si nous appliquons les conseils des scientifiques.