Des astronomes ont observé la formation d’atomes d’éléments lourds suite à la collision de deux étoiles à neutrons, offrant pour la première fois un aperçu des propriétés physiques microscopiques de ces événements cosmiques extrêmes. Situé à 130 millions d’années-lumière de la Terre, l’événement a déclenché une explosion colossale qui a donné naissance au plus petit trou noir jamais observé et fourni un tableau chronologique détaillé sur le passé, le présent et le futur de la formation des atomes lourds.
Les étoiles à neutrons sont les vestiges d’étoiles massives (7 à 19 masses solaires) qui se sont effondrées sur elles-mêmes suite à l’épuisement de leur combustible thermonucléaire. Leurs couches externes sont éjectées lors d’explosions de supernova, laissant derrière elles un noyau hyperdense concentrant l’équivalent d’environ deux masses solaires dans une sphère d’environ 20 kilomètres de diamètre. L’effondrement gravitationnel du noyau force les électrons et les protons à se lier entre eux pour former des neutrons, d’où l’appellation.
Certaines étoiles à neutrons se trouvent au sein de systèmes binaires composés, soit accompagnés d’une étoile intacte, soit d’une étoile suffisamment massive pour devenir une seconde étoile à neutrons. Si cette dernière n’est pas éjectée par l’explosion en supernova de la première, les deux orbitent l’une autour de l’autre en générant des ondulations de l’espace-temps ou des ondes gravitationnelles, en raison de leurs densités extrêmement élevées.
À mesure que le moment cinétique du système (grandeur vectorielle conservée utilisée pour décrire l’état général de rotation d’un système) diminue, les orbites se resserrent et les deux étoiles à neutrons se rapprochent l’une de l’autre. Il en résulte des ondes gravitationnelles qui se propagent dans l’espace de plus en plus rapidement, jusqu’à ce que les étoiles soit suffisamment proches pour entrer en collision et fusionner. Cela génère une gigantesque explosion appelée kilonova et qui serait à l’origine de la formation d’éléments lourds (plus lourds que le fer), tels que l’or et le platine.
Cependant, ce processus n’a jamais été caractérisé en détail. En combinant les mesures de la lumière d’une kilonova effectuées à l’aide de plusieurs télescopes, l’équipe du Cosmic DAWN Center de l’Institut Niels Bohr, à l’Université de Copenhague, a pour la première fois observé en détail la formation de ces éléments. « Nous pouvons maintenant voir le moment où les noyaux atomiques et les électrons s’unissent dans cette luminescence résiduelle », explique dans un communiqué Rasmus Damgaard, coauteur de la nouvelle étude. « Pour la première fois, nous assistons à la création d’atomes, nous pouvons mesurer la température de la matière et observer la microphysique de cette explosion lointaine », ajoute-t-il.
Un processus similaire à celui s’étant produit 370 000 ans après le Big Bang
Les chercheurs danois ont analysé la lumière de la kilonova AT2017gfo, située dans la galaxie NGC 4993 à 130 millions d’années-lumière de la Terre. La collision cataclysmique entre les deux étoiles à neutrons a donné naissance à un petit trou noir et a projeté de la matière riche en neutrons formant une sphère de plasma se développant à une vitesse proche de celle de la lumière. La kilonova présentait une luminosité comparable à celle de centaines de millions de soleils, en raison de l’immense quantité de rayonnement provenant de la désintégration radioactive des éléments présents.
Dans les premiers instants suivant la collision, la matière désintégrée projetée par la kilonova atteint une température de plusieurs milliards de degrés, soit mille fois plus élevée que celle du cœur du Soleil et comparable à celle de l’Univers une seconde seulement après le Big Bang. Ces conditions extrêmes font que les électrons se détachent des noyaux atomiques, formant un plasma ionisé en mouvement perpétuel.
Dans les minutes et les heures suivant l’explosion, la matière se refroidit progressivement, à l’instar de l’Univers suite au Big Bang. Environ 370 000 ans après le Big Bang, la matière s’était suffisamment refroidie pour que les électrons puissent se fixer aux noyaux atomiques et former les premiers atomes. Un processus similaire, appelé « capture rapide de neutrons, ou processus r », se produit suite à l’explosion d’une kilonova, créant des éléments plus lourds que le fer.
Cependant, « cette explosion astrophysique se développe de manière spectaculaire heure par heure, de sorte qu’aucun télescope ne peut à lui seul suivre toute son histoire. L’angle de vue des télescopes individuels sur l’événement est bloqué par la rotation de la Terre », explique Albert Sneppen, auteur principal de l’étude, décrite dans la revue Astronomy & Astrophysics. Afin de suivre l’événement de manière détaillée, l’équipe a donc combiné les mesures de plusieurs télescopes basés en Australie, en Afrique du Sud, ainsi que celles du télescope spatial Hubble.
Un aperçu du passé, du présent et du futur de la formation des atomes
Les mesures combinées de l’équipe ont permis d’obtenir un tableau chronologique de la formation des atomes d’éléments lourds. En effet, après l’explosion de kilonova, la sphère de matière se dilate et s’étend si rapidement qu’il faut plusieurs heures pour la lumière pour la traverser entièrement. Il est ainsi possible de remonter la chronologie de l’explosion depuis le bord de la sphère. Au niveau de la partie de la sphère la plus proche de la Terre, les électrons sont déjà attachés aux noyaux atomiques, tandis que le trou noir est encore en train de se former au niveau de la partie la plus éloignée.
« C’est comme admirer trois rayonnements du fond diffus cosmologique qui nous entourent, mais ici, nous pouvons tout voir de l’extérieur. Nous voyons avant, pendant et après le moment de la naissance des atomes », explique Damgaard. Les chercheurs ont pu observer la formation d’éléments lourds tels que le strontium et l’yttrium et soupçonnent que d’autres éléments lourds encore non répertoriés auraient aussi pu s’y former.