La formation des chromosomes enfin révélée en détail grâce à une méthode d’imagerie de nouvelle génération

C'est aussi la première fois que la structure des chromosomes est observée à l’échelle nanométrique.

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Depuis plusieurs décennies, les biologistes s’efforcent de percer le mystère de la condensation des chromosomes en bâtonnets caractéristiques suite à la division cellulaire. Une équipe internationale vient de franchir une étape déterminante en visualisant ce phénomène avec une précision inédite, grâce à une méthode d’imagerie basée sur une nouvelle technologie pour le traçage de l’ADN, LoopTrace. Leurs travaux révèlent que l’ADN se replie d’abord en de vastes boucles, puis en une série de structures plus petites et imbriquées, qui se repoussent mutuellement pour engendrer un repliement compact. Une découverte qui pourrait ouvrir de nouvelles voies de recherche pour le traitement de maladies cellulaires telles que le cancer ou certaines pathologies génétiques.

La division cellulaire constitue l’un des processus fondamentaux de la biologie, indispensable à la croissance, à la régénération et au renouvellement des organismes vivants. À cette occasion, chaque cellule doit dupliquer son ADN et veiller à ce que chaque cellule « fille » hérite d’une copie complète du génome. Chez l’être humain, cela implique de condenser les 46 chromosomes afin de pouvoir les répartir équitablement. Toute erreur dans ce mécanisme peut entraîner de lourdes conséquences pathologiques, notamment des cancers.

Jusqu’alors, les mécanismes précis par lesquels l’ADN adopte sa configuration compacte demeuraient largement incompris. Désormais, grâce à une nouvelle technologie développée par l’équipe du Laboratoire européen de biologie moléculaire (EMBL), dirigée par Andreas Brunner, postdoctorant au sein du groupe Ellenberg de l’EMBL à Heidelberg, les chercheurs ont pu observer ce processus avec une précision inégalée.

Le rôle central des condensines dans le pliage de l’ADN

Au cœur de ce mécanisme d’une extrême finesse, opèrent des protéines complexes appelées condensines. Découvertes dans les années 1990, elles agissent comme de véritables « mains moléculaires », saisissant et repliant l’ADN pour former des boucles de tailles variables, jusqu’à construire l’architecture singulière des chromosomes.

Des travaux antérieurs menés à l’EMBL avaient déjà mis en lumière la complexité du rôle joué par ces condensines dans la condensation chromosomique, condition sine qua non d’un partage efficace de l’information génétique entre cellules.

Cependant, ce processus ne va pas sans péril. Les chercheurs ont en effet démontré que certaines mutations affectant la structure des condensines pouvaient compromettre leur bon fonctionnement. Résultat : des défauts majeurs de ségrégation chromosomique, à l’origine de la mort cellulaire, du développement tumoral ou de maladies génétiques rares. Certains travaux évoquent le terme « condensinopathies » pour désigner ce groupe de troubles, bien que celui-ci reste encore peu usité dans la littérature scientifique.

Une nouvelle approche pour observer les chromosomes

Jusqu’à présent, les méthodes d’observation de l’ADN étaient limitées par leur agressivité : souvent réalisées à haute température, elles altèrent la structure moléculaire, empêchant toute vision fidèle des dynamiques naturelles du génome.

« Observer ce processus de bouclage à l’échelle cellulaire, et comprendre sa contribution à la structure chromosomique, représente un véritable défi », explique Andreas Brunner dans un communiqué. « Les méthodes existantes, trop intrusives, nécessitent des températures élevées qui perturbent irrémédiablement l’architecture native de l’ADN », précise-t-il.

Pour surmonter cette contrainte, Kai Beckwith – ancien postdoctorant au sein du même groupe, aujourd’hui professeur associé à l’Université norvégienne des sciences et technologies – a mis au point, en collaboration avec l’équipe de l’EMBL, une méthode innovante baptisée LoopTrace. Celle-ci permet entre autres d’extraire un brin d’ADN avec une extrême délicatesse, sans en altérer la structure.

Grâce à cette approche, les chercheurs ont pu observer pour la première fois les transformations dynamiques de l’ADN durant la division cellulaire. À l’aide de marqueurs moléculaires spécifiques, ils ont cartographié, à l’échelle nanométrique, la formation progressive de boucles et de replis chromosomiques.

« Andreas et moi avons réussi à capturer le moment précis où les chromosomes amorcent leur reconfiguration », explique Beckwith. « Cela a été essentiel pour comprendre comment les condensines orchestrent le pliage de l’ADN ».

À partir des données obtenues, l’équipe a mis en évidence un processus en deux temps : d’abord, la formation de grandes boucles stables le long de l’ADN, puis leur subdivision en boucles plus petites, transitoires et imbriquées, qui interagissent et se repoussent. Cette répulsion mutuelle contribue à structurer de manière optimale le chromosome, qui adopte alors sa forme finale de bâtonnet.

Des scientifiques ont capturé pour la première fois la formation des chromosomes
Au fur et à mesure que la cellule franchit les étapes de la division cellulaire (interphase, prométaphase, métaphase et anaphase), les chromosomes deviennent progressivement plus compacts par une combinaison de boucles et d’empilements d’ADN. © Daniela Velasco Lozano/EMBL

Une avancée importante pour la biologie cellulaire

Pour valider leur hypothèse, les chercheurs ont élaboré un modèle informatique fondé sur ces deux principes : la formation de boucles et leur répulsion mutuelle. Les résultats, publiés dans la revue Cell, ont confirmé que ces mécanismes suffisent à expliquer la forme typique des chromosomes.

« Nous avons découvert que les boucles induites par la condensine sont bien plus grandes qu’imaginé, et que leur chevauchement est essentiel », précise Beckwith. « Ce n’est qu’en intégrant ces éléments que nous avons pu reproduire fidèlement la structure native des chromosomes mitotiques et comprendre leur ségrégation au moment de la division ». L’équipe de l’EMBL entend désormais approfondir ses recherches en examinant l’influence d’autres acteurs moléculaires sur la condensation de l’ADN.

VIDÉO — Simulation avec un modèle informatique du processus de condensation des chromosomes, sur la base des hypothèses et données recueillies par les chercheurs (© Beckwith et al, Cell 2025) :

 

Source : Cell

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