Un fossile exceptionnellement bien conservé d’une espèce de luciole jusqu’ici inconnue, datant de 99 millions d’années, suggère que leur capacité de bioluminescence était présente dès le Mésozoïque (entre il y a 252 et 66 millions d’années) — soit au cours de la période d’émergence des dinosaures. Il s’agit notamment du deuxième fossile de luciole découvert datant de cette période, tous deux possédant le fameux organe abdominal lumineux. Ces nouvelles données suggèrent que cette caractéristique était déjà bien développée et diversifiée à l’époque.
La bioluminescence est une fascinante caractéristique présente chez de nombreux organismes, tels que les méduses, les coraux, le plancton, les champignons, etc. La plupart des organismes bioluminescents des écosystèmes terrestres appartiennent à l’ordre des coléoptères. Les lucioles (de la famille des Lampyridae) appartiennent à un grand groupe de coléoptères bioluminescents comptant environ 2 500 espèces. Parmi ces familles figurent par exemple les Phengodidae (dont les larves sont connues sous le nom de vers luisants), les Rhagophthalmidae (dont la bioluminescence est également présente chez les larves et parfois chez les adultes) et les Sinopyrophoridae, endémiques du sud de la Chine.
Chez les lucioles, la bioluminescence assurerait deux fonctions principales : la communication et la défense contre les prédateurs. Elle sert à attirer d’autres lucioles lors de la parade nuptiale et pour avertir les prédateurs de la présence de la lucibufagine (une toxine) chez les adultes, dans les œufs et les larves. Cependant, la manière exacte dont cette caractéristique a évolué n’est pas entièrement comprise.
En effet, l’utilisation de la bioluminescence lors de la parade nuptiale n’est observée que chez certaines espèces de Lampyridae et de Rhagophthalmidae, tandis que la caractéristique est beaucoup plus répandue à l’état larvaire. Il a donc été suggéré que ce trait a évolué principalement en tant que mécanisme de défense chez les larves. De nombreux coléoptères modernes semblent aussi uniquement s’illuminer lorsqu’ils sont dérangés. D’un autre côté, des études ont précédemment suggéré que la sécrétion de lucibufagine a évoluée après la bioluminescence. Cela signifierait que la bioluminescence chez les lucioles n’a initialement pas servi en tant que signal d’avertissement direct de la présence de la toxine.
L’étude des Elateroidea (la superfamille à laquelle appartiennent les lucioles) est en outre particulièrement difficile en raison de la rareté des fossiles. La plupart des espèces de cette superfamille possèdent un corps mou à l’état larvaire, tandis que les femelles présentent souvent une neoténie (conservation de certaines caractéristiques larvaires à l’état adulte), ce qui entrave la fossilisation. Le fossile de luciole récemment découvert par l’équipe de l’Académie chinoise des sciences fournit de nouveaux indices sur l’évolution de la bioluminescence au sein du clade.
Une caractéristique déjà diversifiée au Mésozoïque
Les fossiles d’Elateroidea datant du Mésozoïque sont extrêmement rares, un seul spécimen ayant été signalé jusqu’à présent. Il s’agit de Protoluciola albertalleni, une luciole datant du Crétacé moyen et découvert en 2021 dans de l’ambre en Birmanie.
Flammarionella hehaikuni, le nouveau spécimen décrit dans la nouvelle étude, publiée dans la revue Proceedings of the Royal Society B., a été découvert dans le nord du Myanmar (également en Birmanie), près de la colline de Noije Bum, dans la vallée de Hukawng. Il est conservé dans de la résine provenant probablement de séquoias du genre Metasequoia, peuplant la forêt tropicale humide de la région.
Les observations de l’équipe ont été réalisées par le biais d’imageurs à haute résolution, notamment un microscope stéréo Zeiss Discovery V16, équipé d’une lampe à mercure et de filtres spéciaux détectant spécifiquement les protéines bioluminescentes. Un logiciel de mise au point a également été utilisé pour augmenter la profondeur de champ. Les mandibules fines en forme de faucilles, une tête large et d’autres caractéristiques morphologiques, indiquent qu’il s’agit d’une femelle appartenant à un nouveau genre, baptisé Cretophengodes.
La datation de l’ambre indique que le fossile a environ 99 millions d’années, soit la période où la population des dinosaures a commencé à augmenter et à se diversifier. « Nous avons même des traces de restes de dinosaures provenant du même gisement d’ambre dans lequel Cretophengodes a été découvert », indique Chenyang Cai de l’Académie chinoise des sciences, auteur principal de l’étude, à CNN.
Les étranges antennes à 12 segments du spécimen ont particulièrement intrigué les chercheurs. Elles sont densément recouvertes d’extensions ovales distinctives au niveau des segments 3 à 11, servant probablement d’organes sensoriels. Bien que présentes chez certains coléoptères, ces extensions n’ont jamais été observées chez les lucioles modernes. D’autre part, ces organes sont généralement plus étendus chez les mâles d’autres coléoptères. La comparaison du Flammarionella hehaikuni femelle avec un spécimen mâle pourrait donc fournir davantage d’informations sur les fonctions de ces appendices.
En outre, l’organe bioluminescent situé près de l’extrémité de son abdomen présente de nombreuses similitudes avec celui des lucioles modernes, ce qui démontrerait la stabilité évolutive du trait. La présence de l’organe chez deux genres différents de lucioles du Mésozoïque suggère également que la caractéristique était à l’époque déjà diversifiée. « À mesure que les archives fossiles s’élargissent à l’avenir, nous prévoyons de nouvelles révélations qui élargiront nos connaissances sur le moment, la manière et la raison pour laquelle la bioluminescence a évolué chez ces animaux fascinants au cours de l’ère mésozoïque », concluent les chercheurs dans leur document.