Pendant 360 millions d’années environ, les lamproies ont progressivement évolué pour passer du statut d’herbivore à celui de parasite carnivore. Cependant, notre compréhension de cette transition comporte de nombreuses lacunes en raison de la rareté des archives fossiles. Récemment, des scientifiques ont éclairé le sujet après avoir mis au jour deux fossiles exceptionnellement bien conservés, datant d’il y a 160 millions d’années et dont la dentition indiquerait l’émergence de la prédation chez cette lignée.
Les lamproies constituent l’un des deux groupes de vertébrés vivants dépourvus de mâchoire et incluent 49 espèces différentes. Elles se caractérisent par leur bouche en ventouse dotée de nombreuses dents, leur permettant de s’accrocher solidement à leurs hôtes afin d’en consommer le sang. Leurs cavités buccales disposent également d’une paire de glandes sécrétant une substance anticoagulante, leur permettant ainsi d’aspirer un maximum de sang.
Ce mode d’alimentation leur confère un rôle écosystémique clé en contribuant au contrôle de la population de certaines espèces. Cependant, en cas d’introduction, elles peuvent facilement devenir invasives et engendrer de lourdes pertes pour la pêche locale. La compréhension de leur biologie évolutive pourrait appuyer davantage les efforts des écologistes pour l’adoption des meilleures mesures pour les préserver ou les contrôler.
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Une transition d’herbivore à carnivore
Alors que les archives fossiles de ces poissons remontent à 360 millions d’années, ils sont répartis de manière extrêmement inégale au cours de la période post-Carbonifère, avec seulement deux taxons connus au Crétacé (il y a 145,5 à 65,5 millions d’années). L’analyse des fossiles datant du Paléozoïque (541 à 252,2 millions d’années) indique que leur bouche s’est considérablement transformée, afin de ressembler progressivement à celle des espèces actuelles. Ces transformations concernent notamment la taille, la forme et la disposition des dents kératiniques.
En effet, alors que les lamproies carnivores actuelles peuvent mesurer jusqu’à 120 centimètres, leurs ancêtres ne mesuraient que quelques centimètres et présentaient une dentition très simple et réduite. Selon les chercheurs de l’Académie chinoise des sciences, les pièces buccales de ces lamproies primitives suggèrent qu’elles n’étaient ni des prédatrices ni des parasites. Elles se seraient davantage nourries d’algues et ne possédaient pas de glandes anticoagulantes. « Leurs possibilités d’alimentation étaient plutôt limitées, car la grande majorité de leurs hôtes potentiels avaient tous des écailles ou d’épaisses cuirasses, qu’elles n’auraient pas pu pénétrer », expliquent les chercheurs dans leur étude, publiée dans la revue Nature Communications. Leur régime alimentaire n’aurait évolué que beaucoup plus tard.
Cependant, des lacunes subsistent quant à la compréhension de ce scénario évolutif, notamment en raison d’un manque d’archives fossiles suffisamment fiables. Les fossiles nouvellement découverts comblent le fossé entre les lignées existantes et les spécimens fossilisés du Paléozoïque. Baptisés Yanliaomyzon occisor et Y. ingensdentes, les deux nouveaux spécimens datent du Jurassique (il y a 201,3 millions à 145 millions d’années) et sont exceptionnellement bien conservés. « Ces lamproies fossiles ont été exceptionnellement bien préservées, avec une suite complète de structures d’alimentation », ont écrit les chercheurs. Cela révèle de précieux indices quant à l’histoire évolutive de la lignée.
Un changement majeur dans le cycle biologique
Les deux fossiles décrits dans la nouvelle étude ont été exhumés au niveau d’un gisement fossilifère situé dans le Nord-est de la Chine. Ils possèdent des cavités buccales comptant de nombreuses dents et ont une ressemblance frappante avec les lamproies à poche actuelles (Geotria australis). Cela suggère que la lignée commençait déjà à consommer du sang il y a au moins 160 millions d’années.
Cependant, Y. occisor, le plus grand des deux spécimens découverts, ne mesure que 64,2 centimètres de long, bien qu’il constitue le plus grand fossile de lamproie découvert jusqu’ici. À titre de comparaison, les lamproies marines (Petromyzon marinus) d’aujourd’hui mesurent jusqu’à 120 centimètres et les lamproies du Pacifique (Entosphenus tridentatus) 85 centimètres. Les experts chinois suggèrent que le mode de vie prédateur a probablement conduit à l’augmentation de leur taille depuis le Jurassique.
Par ailleurs, la transition s’est également accompagnée d’un changement majeur dans leur cycle biologique, peu de temps avant le Crétacé. Par sa grande taille, Y. occisor présente des similitudes avec des taxons ultérieurs qui ont développé un cycle de vie en trois étapes, incluant notamment un stade larvaire (ammocète), métamorphique et adulte. Cela suggère qu’à l’instar des espèces actuelles, celle-ci a probablement vécu au rythme d’un cycle migratoire, en eau douce à l’état de larve, pour y revenir seulement lors de la saison de reproduction.