La fusion nucléaire est l’une des sources d’énergie les plus prometteuses de demain, notamment dans le contexte de la crise climatique. Les physiciens de l’EPFL (École Polytechnique Fédérale de Lausanne), au sein d’une vaste collaboration européenne, ont récemment révisé l’une des lois fondamentales de la fusion nucléaire, appelée « limite de Greenwald ». Depuis trois décennies, cette loi est à la base de la recherche sur le plasma et la fusion, régissant même la conception de mégaprojets comme l’ITER (réacteur thermonucléaire expérimental international). L’équipe de physiciens a constaté qu’il était possible de doubler la quantité d’hydrogène injectée dans un réacteur thermonucléaire pour produire deux fois plus d’énergie. Cette découverte redessine ainsi les limites de la fusion, quand certains experts estiment que les premiers réacteurs à usage industriel ne seront rentables qu’à partir de 2040-2050.
La fusion nucléaire implique la combinaison de deux noyaux atomiques en un seul, libérant d’importantes quantités d’énergie. C’est ce procédé qui est à l’œuvre au sein du Soleil. La chaleur provient ainsi de la fusion de noyaux d’hydrogène en atomes d’hélium, plus lourds.
En France, dans le département des Bouches-du-Rhône, 35 pays sont engagés dans la construction du plus grand tokamak jamais conçu, dans le cadre du projet ITER. Le tokamak est une machine expérimentale conçue pour exploiter l’énergie de la fusion. Dans l’enceinte d’un tokamak, l’énergie générée par la fusion des noyaux atomiques est absorbée, sous forme de chaleur, par les parois de la chambre à vide. Tout comme les centrales électrogènes classiques, une centrale de fusion utilisera cette chaleur pour produire de la vapeur, puis, grâce à des turbines et à des alternateurs, de l’électricité.
ITER a pour but de démontrer que la fusion — « l’énergie des étoiles » — peut être utilisée comme source d’énergie à grande échelle, non émettrice de CO2, pour produire de l’électricité. Son premier objectif est la création d’un plasma à haute température fournissant l’environnement idéal pour que la fusion ait lieu et produise de l’énergie. Les résultats du programme scientifique d’ITER seront décisifs pour ouvrir la voie aux centrales de fusion électrogènes de demain.
Dans le cadre de l’amélioration continue de ces réacteurs, les physiciens de l’EPLF révèlent que l’on peut utiliser, en toute sécurité, une plus grande quantité d’hydrogène, et obtenir ainsi plus d’énergie qu’on ne le pensait auparavant. Cette révision de la limite de Greenwald sera mise en pratique pour des tests dans le réacteur ITER quand il sera en fonctionnement. La nouvelle équation, actualisant cette limite, est publiée dans la revue Physical Review Letters.
Une nouvelle limite pour les tokamaks, futurs producteurs d’énergie propre
Les scientifiques travaillent depuis plus de 50 ans sur l’obtention d’une fusion contrôlée viable. Contrairement à la fission nucléaire, qui produit de l’énergie en brisant de très gros noyaux atomiques, la fusion nucléaire pourrait générer bien plus d’énergie, en réunissant de très petits noyaux. De plus, le processus de fusion crée beaucoup moins (presque pas) de déchets radioactifs que la fission, et l’hydrogène riche en neutrons, utilisé comme combustible, est relativement facile à obtenir.
Comme mentionné précédemment, la réaction nucléaire est ici identique à celle se produisant au sein du Soleil, utilisant des atomes d’hydrogène. Or, sur Terre, la pression régnant au cœur d’une étoile n’est pas reproductible. Cette pression est nécessaire à la transformation d’hydrogène en plasma — le milieu dans lequel les atomes d’hydrogène peuvent fusionner et générer de l’énergie. Il faut donc amener les gaz à une température 10 fois plus élevée que celle du Soleil, soit à environ 150 millions de degrés Celsius.
En conséquence, au cœur d’un tokamak, formé d’une chambre à vide en forme d’anneau, sous l’influence d’une température et d’une pression extrêmes, le gaz d’hydrogène se mue en plasma. Dans l’enceinte, l’énergie générée par la fusion des noyaux atomiques est absorbée sous forme de chaleur par les parois de la chambre à vide. Des champs magnétiques très puissants sont mis en œuvre pour confiner et contrôler le plasma.
Plusieurs projets d’énergie de fusion sont maintenant à un stade avancé. Néanmoins, ITER n’est pas conçu, de base, pour produire de l’électricité, mais pour tester les limites de production et délimiter les conditions exactes de réalisation de telles réactions de fusion. Cependant, des tokamaks basés sur ITER, appelés réacteurs DEMO, sont en cours de conception et pourraient fonctionner d’ici 2050, afin de produire de l’électricité.
Paolo Ricci, du Swiss Plasma Center (EPFL), explique dans un communiqué : « Afin de produire un plasma pour la fusion, trois éléments sont à prendre en compte : une température élevée, une densité élevée d’hydrogène et un bon confinement ». C’est pourquoi l’une des limites de la production de plasma dans un tokamak est la quantité d’hydrogène que l’on peut y injecter. En effet, plus la densité est élevée, plus il est difficile de maintenir stable le plasma obtenu.
Plus précisément, plus on injecte de combustible à la même température, plus certaines parties du plasma se refroidissent, et plus il est difficile pour le courant de circuler dans ce dernier, entraînant de fait des perturbations. Paolo Ricci explique en termes simples : « On perd totalement le confinement et le plasma part n’importe où. Dans les années 1980, on a essayé de trouver une sorte de loi permettant de prédire la densité maximale d’hydrogène que l’on peut injecter dans un tokamak ». Elle a été découverte en 1988 par le physicien Martin Greenwald, et instaure une corrélation entre la densité du combustible, le rayon mineur du tokamak (le rayon du cercle interne de l’anneau) et le courant qui circule dans le plasma à l’intérieur du tokamak. Jusqu’ici, les expériences menées avec ces machines ont confirmé cette « limite de Greenwald », qui est au cœur de la stratégie de construction d’ITER.
Histoire de plasma
Les scientifiques ont longtemps soupçonné que la limite de Greenwald pouvait être améliorée. Afin de tester leur hypothèse, en collaboration avec des équipes d’autres tokamaks, le Swiss Plasma Center a conçu et mené une expérience révolutionnaire, permettant d’utiliser une technologie très sophistiquée dans le but de contrôler avec précision la quantité de combustible injectée dans un tokamak. Des expériences massives ont été réalisées dans les plus grands tokamaks du monde, le Joint European Torus (JET) au Royaume-Uni, l’ASDEX Upgrade en Allemagne (Institut Max Planck) et le tokamak TCV de l’EPFL.
Parallèlement, Maurizio Giacomin, doctorant dans l’équipe de Paolo Ricci, a commencé à analyser les processus physiques qui limitent la densité dans les tokamaks, afin d’établir une loi fondamentale permettant de corréler la densité du combustible et la taille du tokamak. Une partie de ce travail a consisté à utiliser une simulation avancée du plasma réalisée à l’aide d’un modèle informatique.
La clé fut la découverte qu’un plasma peut supporter une plus grande densité de carburant à mesure que la puissance de sortie d’une réaction de fusion augmente. Autrement dit, les tokamaks comme ITER peuvent effectivement utiliser près de deux fois la quantité de combustible pour produire des plasmas, sans craindre de perturbations. Paolo Ricci déclare : « Ce résultat est important, car il montre que la densité que l’on peut atteindre dans un tokamak augmente avec la puissance nécessaire pour le faire fonctionner. DEMO fonctionnera à une puissance nettement plus élevée que les tokamaks actuels et ITER, ce qui signifie que l’on peut ajouter une plus grande densité de combustible sans limiter la production, contrairement à ce que la loi de Greenwald prévoyait. Et c’est une très bonne nouvelle ».