Une équipe internationale d’astronomes a récemment étudié les galaxies de l’amas du Fourneau pour tester le modèle ΛCDM (ou Lambda CDM) — le modèle standard qui décrit l’Univers comme étant homogène et isotrope, constitué de matière ordinaire, de matière noire et d’énergie sombre — et la dynamique newtonienne modifiée (ou MOND), une alternative controversée à la théorie de la relativité générale. Ils ont identifié des perturbations au sein des galaxies naines de l’amas qui suggèrent une théorie différente de la gravité.
La majorité des astronomes pensent que la mystérieuse matière noire, qui est à la base du modèle ΛCDM, est la seule manière de rendre compte de certains phénomènes, tels que la masse et la vitesse des galaxies, ou simplement leur cohésion. Ce modèle standard de la cosmologie implique que la plupart des galaxies soient entourées d’un halo de particules de matière noire, capable d’exercer une forte attraction gravitationnelle sur les objets situés à proximité. Malgré des décennies de recherches, l’existence de matière noire n’a pourtant jamais été mise en évidence et diverses théories alternatives ont été proposées.
L’une d’entre elles est la théorie de la dynamique newtonienne modifiée (ou théorie MOND). Pour tester ces différents modèles, une équipe d’astronomes s’est intéressée aux galaxies naines de l’amas du Fourneau, situé à quelque 62 millions d’années-lumière de la Terre. Les galaxies naines sont de petites galaxies peu lumineuses qui sont souvent situées à l’intérieur ou à proximité de galaxies plus grandes ou d’amas de galaxies. En raison de leur faible luminosité de surface, elles sont particulièrement sensibles aux forces de marée générées par les galaxies plus massives ; elles sont donc de parfaits objets d’étude pour tester les théories de la gravité.
Des galaxies naines exemptes de matière noire ?
« Nous présentons une façon innovante de tester le modèle standard basé sur la mesure dans laquelle les galaxies naines sont perturbées par les « marées gravitationnelles » des grandes galaxies voisines », explique dans un communiqué Elena Asencio, doctorante à l’Université de Bonn et première auteure de l’étude relatant la découverte. Le degré de perturbation attendu pour ces galaxies dépend de la loi de gravité supposée et de la présence ou non de matière sombre.
Les observations suggèrent que plusieurs des galaxies naines de l’amas avaient subi d’importantes déformations, comme si l’environnement de l’amas les avait perturbées. Or, ceci est en contradiction totale avec le modèle standard, car en théorie, les halos de matière noire des galaxies naines devraient les protéger en partie des forces de marées générées par l’amas galactique environnant.
L’équipe a tout d’abord examiné le niveau attendu de perturbation des naines : celui-ci peut être déterminé par leurs propriétés internes et leur distance par rapport au puissant centre gravitationnel de l’amas. Par exemple, les grandes galaxies à faible masse stellaire, ainsi que les galaxies proches du centre de l’amas, sont plus facilement perturbées, voire détruites. Les chercheurs ont comparé leurs résultats à l’ampleur des perturbations observées sur les images prises par le Very Large Telescope de l’Observatoire européen austral. C’est là qu’une incohérence est apparue.
« La comparaison a montré que, si l’on veut expliquer les observations par le modèle standard, les naines de l’amas du Fourneau devraient déjà être détruites par la gravité du centre de l’amas, même lorsque les marées qu’il soulève sur une naine sont 64 fois plus faibles que la gravité de la naine elle-même ! », explique Elena Asencio. La scientifique souligne que ce constat est non seulement contre-intuitif, mais contredit plusieurs études qui ont montré que la force externe nécessaire pour perturber une galaxie naine est à peu près équivalente à sa propre gravité.
Le modèle standard maintes fois remis en question
Si ces galaxies naines n’ont pas de halo de matière noire, comment ont-elles pu voir le jour ? Et surtout, comment ont-elles pu résister face aux forces d’attraction environnantes ? Le modèle standard ne convenant pas pour expliquer le phénomène observé, l’équipe a entrepris d’appliquer une autre théorie, la théorie MOND, qui repose sur une modification de la seconde loi de Newton (qui relie la masse d’un objet et l’accélération qu’il reçoit si des forces lui sont appliquées). Elle élimine la présence de halos de matière noire, mais propose une correction selon laquelle la gravité subit un « coup de pouce » aux accélérations très faibles.
Ce modèle s’est avéré bien plus cohérent. « Nos résultats montrent un accord remarquable entre les observations et les attentes de MOND pour le niveau de perturbation des naines du Fourneau », a déclaré le Dr Indranil Banik chercheur à l’Université de St. Andrews et co-auteur de l’étude.
L’équipe souligne que ça n’est pas la première fois qu’une étude testant l’effet de la matière noire sur la dynamique et l’évolution des galaxies met en défaut la théorie. « Le nombre de publications montrant des incompatibilités entre les observations et le paradigme de la matière noire ne cesse d’augmenter chaque année. Il est temps de commencer à investir davantage de ressources dans des théories plus prometteuses », a déclaré le Dr. Pavel Kroupa, qui dirige le groupe de recherche sur les populations stellaires et la dynamique stellaire à l’Université de Bonn.
Ces résultats ont évidemment des implications majeures pour la physique fondamentale. L’équipe continue ses investigations et s’attend à trouver d’autres galaxies naines hautement perturbées dans d’autres amas galactiques, invitant d’autres équipes de recherche à explorer cette voie.