Des chercheurs du Centre de régulation génomique de Barcelone (CRG) et du Centre Nacional d’Anàlisi Genòmica (CNAG-CRG) lancent le jeu mobile Genigma afin de faire progresser la recherche sur le cancer du sein en faisant participer les joueurs.
Ces dernières années, les sciences participatives se développent, permettant, par exemple, de suivre les espèces communes (flore et faune) à l’échelle nationale, grâce à des réseaux d’observateurs volontaires.
Mais le curseur va plus loin ici ! Genigma a comme objectif, et non des moindres, d’utiliser la puissance de calcul de nos cerveaux pour résoudre certains des problèmes les plus complexes de la biologie. Explications.
Le but du jeu : créer des cartes génomiques
Pour étudier les cancers en laboratoire, les chercheurs utilisent des cultures cellulaires ou lignées cellulaires, c’est-à-dire toutes les cellules développées à partir d’un échantillon de tissu ou d’organe. La cellule est l’unité de base structurelle et fonctionnelle des organismes, contenant l’information génétique qui détermine le comportement même de la cellule. Tout est codé dans l’ADN d’une cellule : quand se répliquer, quand mourir, quand activer les programmes génétiques et réagir à un signal externe.
Chaque cellule (appelée cellule fille) descend d’une autre cellule (appelée cellule mère), et ce faisant, copie l’information génétique de la cellule mère, de façon plus ou moins identique. C’est ici que des mutations apparaissent. Pour les lignées cellulaires cancéreuses, cela est particulièrement prononcé, car la maladie se caractérise par des processus où la cellule perd le contrôle : des parties du génome sont réarrangées, dupliquées ou supprimées.
Il est difficile de distinguer les mutations dues aux conditions de culture, et celles imputables au cancer. Pour interpréter leurs découvertes, les scientifiques utilisent des cartes génomiques, ou séquences de référence du génome. Elles leur indiquent, entre autres, où se situent les gènes étudiés, les gènes d’intérêt thérapeutique ou les sites de mutations potentiels. Par comparaison avec leurs données, les modifications du génome sont repérées. Or, les cartes ne sont pas dépourvues d’erreurs, compte tenu des risques de mauvaises copies entre les cellules d’une lignée et les erreurs de séquençage. Les auteurs prennent l’analogie d’un plan obsolète pour se diriger dans une ville où l’aménagement urbain a changé. Il est presque impossible de se repérer.
Pour jouer à GENIGMA, les joueurs doivent résoudre un puzzle impliquant une chaîne de blocs de différentes couleurs et formes. Chaque chaîne représente une séquence génétique dans la lignée cellulaire cancéreuse, et la façon dont les joueurs organisent les blocs est une solution potentielle à l’emplacement des gènes.
Intelligence artificielle contre intelligence collective
La quantité de données à traiter, pour mettre à jour ces cartes de référence des lignées cellulaires cancéreuses, est telle qu’un recours à l’intelligence artificielle semble la voie adaptée. Néanmoins, la complexité des instructions et concepts tangibles et abstraits à fournir au programme pour qu’il puisse restituer des réponses correctes est un obstacle bien trop coûteux à mettre en place. Certes, la capacité de fonctionnement d’une machine est quasi-illimitée, quand notre cerveau ne peut traiter qu’un certain nombre de données sur une même unité de temps, mais ce traitement sera de qualité, avec des résultats plus précis sur le long terme.
Ainsi, l’idée de l’équipe de recherche est de diviser cet immense problème en plusieurs petites parties, qui, prises une à une, sont plus faciles à gérer et engendrent moins d’erreurs. C’est ce que l’on appelle la pensée computationnelle. Chaque problème devra être traité plusieurs fois pour augmenter la qualité des réponses : les erreurs seront « corrigées » par la force du collectif.
Une machine répétera toujours plus ou moins le même type d’erreur face à un même problème, tandis que les cerveaux humains ne fonctionnent pas tous de la même manière ou avec la même approche. Comme l’explique dans un communiqué Elisabetta Broglio, animatrice de sciences citoyennes au CRG, « GENIGMA analysera les solutions apportées par les joueurs en tant que collectif et non en tant qu’individus, et tirera parti de solutions créatives impossibles à trouver avec des algorithmes déterministes ».
La première carte de référence du génome à actualiser concerne la lignée cellulaire du cancer du sein T-47D, l’une des ressources les plus couramment utilisées dans la recherche sur le cancer. L’équipe de GENIGMA estime que 30 000 joueurs résolvant en moyenne 50 jeux chacun généreraient suffisamment de données pour révéler la carte de référence des 20 000 gènes de cette lignée cellulaire.
Les jeux vidéo, sujets parfois à une mauvaise presse,
représentent une opportunité inattendue de faire progresser les
sciences de façon notoire et de réconcilier le grand public
avec.
Comme le précise Elisabetta Broglio, « toute personne disposant
d’un smartphone depuis n’importe où dans le monde peut télécharger
gratuitement GENIGMA et apporter une contribution directe à la
recherche, mettant sa logique et sa dextérité au service de la
science » !