Une équipe de physiciens a pour la première fois mesuré la géométrique quantique (ou la forme) des électrons lorsqu’ils se déplacent au sein d’un solide. Alors que l’énergie et la vitesse des électrons sont mesurables depuis longtemps, leur géométrique quantique n’était jusqu’à présent déduite que de manière théorique. Cette avancée ouvre la voie à de nouvelles techniques pour étudier les propriétés quantiques des matériaux.
La géométrie ou la forme d’un système quantique est mathématiquement exprimée par le tenseur géométrique quantique (TGQ). Il exprime également la manière dont le système change en fonction de paramètres tels que la température et le champ magnétique. Cette mesure est importante, car elle révèle comment les particules, telles que les électrons, se déplacent, interagissent et affectent les propriétés des matériaux. Elle peut également découler sur de nouvelles propriétés encore inconnues de la physique.
Dans le domaine de la mécanique quantique, les électrons peuvent à la fois se comporter comme des particules et des ondes (dualité onde-corpuscule). Leur comportement ondulatoire est décrit par le biais d’une équation mathématique appelée « fonction d’onde ». Il en existe différents types allant du plus simple au plus complexe. Le déplacement d’une balle peut par exemple être décrit par le biais d’une fonction d’onde simple (ou triviale), tandis qu’un ruban de Möbius (un ruban à une face obtenu en collant les deux extrémités après les avoir retournés) est décrit par le biais d’une fonction d’onde complexe (ou non triviale). Les mouvements des électrons au sein des matériaux quantiques sont pour la plupart caractérisés par des fonctions d’onde complexes.
Cependant, les TGQ des fonctions d’onde n’ont jusqu’à présent été déduites que de manière théorique. Alors que les techniques pour mesurer les énergies et les vitesses des électrons dans les matériaux cristallins sont bien établies, leur TGQ n’était jusqu’ici déduite que théoriquement, voire pas du tout.
Or, la compréhension de cette propriété gagne de l’importance à mesure que de nouveaux matériaux quantiques sont découverts avec des applications potentielles dans divers domaines, telles que les ordinateurs quantiques et les dispositifs électroniques et magnétiques avancés. L’étude, codirigée par le Massachussetts Institute of Technology (MIT), est la première à avoir effectué une mesure directe de la TGQ des électrons lorsque ceux-ci se déplacent en sein d’un solide.
« Nous avons essentiellement développé un plan pour obtenir des informations complètement nouvelles qui n’étaient pas disponibles auparavant », explique dans un article de blog du Laboratoire de recherche sur les matériaux du MIT, Riccardo Comin, le responsable de la recherche. Ces travaux, rapportés dans le numéro du 25 novembre de Nature Physics, « ouvrent de nouvelles voies pour comprendre et manipuler les propriétés quantiques des matériaux », ajoute-t-il.
Illustration de la géométrie quantique pour une fonction d’onde électronique. La sphère est représentée comme une approximation locale de la courbure de l’isosurface. © Laboratoire de Comin/MIT
Une technique adaptée à tout type de matériau quantique
L’équipe de Comin a utilisé la spectroscopie de photoémission à résolution angulaire (ARPES) pour décrypter le TGQ des électrons au sein d’un métal kagome, un matériau quantique exotique à base d’alliage de cobalt et d’étain. Pour ce faire, les chercheurs ont bombardé le matériau avec des photons de sorte à déloger les électrons et mesurer leurs propriétés telles que la polarisation et le spin. Plus précisément, la technique ARPES permet de suivre l’énergie et le mouvement des électrons afin de cartographier leur distribution au sein du métal.
Les mesures ont révélé la forme, les états d’énergie et la manière dont les électrons se déplacent au sein du matériau et interagissent avec son réseau cristallin. Les données ont non seulement permis de révéler les TGQ des électrons, mais également d’autres propriétés essentielles telles que la structure de bande et les caractéristiques topologiques du métal. « En utilisant ce cadre, nous démontrons la reconstruction efficace du TGQ dans le métal kagome qui héberge des bandes plates topologiques », explique l’équipe dans son document.
Par ailleurs, les chercheurs ont comparé les nouvelles mesures TGQ obtenues avec celles dérivées des méthodes théoriques, afin d’en évaluer la fiabilité. Ils ont constaté qu’elles sont suffisamment fiables pour que leur protocole de mesure puisse être appliqué à une large gamme de matériaux. La technique peut être appliquée à « n’importe quel type de matériau quantique, pas seulement celui avec lequel nous avons travaillé », affirme l’auteur principal de l’étude, Mingu Kang, du MIT et du Max Planck POSTECH/Korea Research Initiative. Ces résultats pourraient aussi permettre de révéler des propriétés physiques particulières, telles que la supraconductivité, au sein de matériaux où elles ne sont habituellement pas présentes.