Pour empêcher l’effondrement du glacier de Thwaites, des chercheurs ont proposé d’y installer un gigantesque rideau de fer sous-marin de 38,5 kilomètres de long visant à l’isoler des courants marins chauds. Un projet de cette envergure pourrait coûter près de 50 milliards de dollars, sans compter la logistique nécessaire à son déploiement. Cependant, bien que cela semble a priori excessif, les conséquences de l’effondrement du glacier seraient telles que les pertes qui en résulteraient à l’échelle mondiale seraient beaucoup plus élevées (que la réalisation de ce projet).
Situé dans la partie ouest de l’Antarctique, le glacier de Thwaites fait près de 600 kilomètres de long pour 120 kilomètres de large et 800-1200 mètres d’épaisseur. Il rejetait annuellement près de 50 milliards de tonnes de glace d’eau douce dans l’océan. Cependant, en raison de la hausse des températures océaniques, cette quantité a presque doublé au cours des 30 dernières années. En 2000, le glacier avait déjà perdu près de mille milliards de tonnes de glace. De ce fait, il contribue à 4 % de l’élévation annuelle du niveau de la mer dans le monde.
En effet, Thwaites est particulièrement sujet à l’érosion en raison des courants océaniques chauds infiltrant sa paroi. Cela fragilise sa base et augmente le risque d’effondrement de son plateau. Des glaciologues ont récemment déclaré qu’il ne tient désormais « plus qu’à un fil ». Surnommé à juste titre « glacier de l’Apocalypse », son effondrement entraînerait à lui seul une élévation du niveau de la mer d’un demi-mètre.
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Bien que ce niveau d’élévation semble a priori mineur, les conséquences sur les communautés côtières seraient catastrophiques. Près de 97 millions de personnes dans le monde seraient confrontées à des inondations dévastatrices et seraient inévitablement contraintes de se déplacer. D’autre part, le glacier sert de barrière aux courants océaniques chauds et les empêche d’atteindre les courants plus fragiles. Si Thwaites s’effondrait, cela enclencherait des cascades d’effondrement qui provoqueraient à leur tour une élévation supplémentaire de 3 mètres du niveau de la mer.
Craignant que les efforts actuels pour ralentir le réchauffement climatique ne suffisent pour à sauver ce glacier de l’effondrement, des chercheurs de l’Université de Laponie (en Finlande) et de Cambridge ont proposé une technologie de géo-ingénierie visant à le préserver. Leur idée consiste notamment en un gigantesque rideau de fer ancré dans le fond de la mer, empêchant les courants chauds d’infiltrer la base du glacier. Le concept est décrit dans une étude publiée sur la plateforme PNAS Nexus.
Un projet titanesque à 50 milliards de dollars
Le dispositif consiste en un rideau de fer sous-marin semi-flottant et flexible de 38,5 kilomètres de long. Il serait fixé au fond marin et bloquerait ainsi le flux d’eau chaude dirigé vers le flanc du glacier. Cela permettrait de laisser suffisamment de temps de refroidissement pour que sa base puisse se solidifier à nouveau. À noter que ce type de rideau est déjà largement utilisé, par exemple pour contrôler la température de l’eau sortant des réservoirs hydroélectriques. D’autre part, le dispositif présente de nombreux avantages en matière de coûts et de stabilité en cas d’impact avec des icebergs, par exemple.
Plus important encore, il serait non seulement plus facile à déployer qu’un mur rigide, mais également plus facile à retirer en cas d’impact négatif imprévu. « Toute intervention devrait être quelque chose sur laquelle vous pouvez revenir si vous avez des doutes », a expliqué à Business Insider John Moore, glaciologue et chercheur en géo-ingénierie à l’Université de Laponie et co-concepteur du projet.
Avant son déploiement, le projet sera testé selon plusieurs niveaux. L’idée est d’étendre progressivement les prototypes jusqu’à pouvoir prouver que la technologie est suffisamment stable pour être installée dans l’Antarctique, a expliqué l’expert.
La première étape, en cours, consiste à tester en laboratoire une version d’un mètre de long à l’intérieur de réservoirs de glace spécialement conçus. Une fois tous les essais de fonctionnement et de sécurité effectués, les chercheurs prévoient de réitérer l’expérience dans la rivière Cam (en Angleterre), soit en installant le rideau au fond de l’eau, soit en le fixant à un bateau. L’étape suivante consistera à tester un ensemble de prototypes d’une dizaine de mètres dans un fjord (une vallée érodée par un glacier allant de la montagne à la mer) en Norvège d’ici 2025.
Ces étapes préliminaires coûteraient à elles seules entre 100 000 et 10 millions de dollars. Cependant, la version définitive du dispositif, qui sera déployée dans la mer d’Amundsen, nécessiterait près de 50 milliards de dollars supplémentaires. Le glacier d’Amundsen est l’un des plus longs glaciers au monde, s’étendant du plateau antarctique à la mer de Ross.
« Cela semble beaucoup », a déclaré Moore. Cependant, « le coût de la protection contre l’élévation du niveau de la mer dans le monde, uniquement pour les défenses côtières, devrait être d’environ 50 milliards de dollars par an et par mètre d’élévation », a-t-il précisé. Alors que certaines villes côtières comme Miami ou New York pourraient avoir le budget nécessaire en prévision des conséquences de cette élévation, de nombreux autres pays dans le monde n’en auront pas les moyens. Selon Moore et ses collègues, leur proposition tiendrait d’une question de justice sociale et serait une manière plus équitable de faire face à ces conséquences.
Toutefois, d’autres experts affirment que le seul moyen de protéger le glacier est de réduire les émissions de gaz à effet de serre. Néanmoins, Moore et ses collègues soutiennent que préservation de Thwaites et des autres glaciers est une course contre la montre, nécessitant ainsi des actions urgentes qui ne pourraient attendre la réduction significative des émissions. Toutefois, alors que malgré les efforts initiés dans ce sens, ces émissions ne cessent de croître, ce projet de rideau de fer ne serait-il qu’un effort désespéré ?