Malgré les rapports récents rendus par l’Organisation des Nations unies pour l’alimentation et l’agriculture (ONUAA), l’OMS et l’Autorité européenne de sécurité des aliments (AESA) indiquant le risque cancérogène peu probable du glyphosate par voie alimentaire, les discussions concernant l’herbicide continuent de faire rage. L’un des arguments avancés par ses détracteurs est le danger qu’il présente pour l’environnement. Une nouvelle étude suggère que le glyphosate serait bien nocif pour les abeilles, en altérant leur microbiome intestinal.
Le glyphosate est un herbicide non-sélectif à action généralisée le plus utilisé à travers le monde. Longtemps, les scientifiques ont affirmé qu’il n’était pas toxique pour les animaux. Cependant, selon une nouvelle étude publiée dans la revue Proceedings of the National Academy of Sciences par une équipe de biologistes américains, cette affirmation ne concernerait pas les abeilles, pour qui le glyphosate représenterait effectivement un danger et serait impliqué dans le déclin progressif des colonies d’abeilles.
« C’est une situation vraiment critique. Ces résultats m’ont surpris » affirme Fred Gould, entomologiste à l’université de Caroline du nord. Cette étude remet en question la croyance commune consistant à dire que les animaux sont immunisés au glyphosate car ce dernier cible des mécanismes cellulaires propres aux végétaux et à certaines bactéries. En effet, le glyphosate tue les plantes en bloquant l’enzyme intervenant dans la production des acides aminés. Les animaux ne possèdent pas cette enzyme.
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Selon cette étude, l’herbicide perturberait le microbiome digestif (ensemble des bactéries participant aux processus digestifs) des abeilles, les rendant ainsi plus vulnérables aux infections. Ces résultats ont interpellé Nancy Moran, biologiste de l’évolution spécialiste du microbiome intestinal des abeilles Apis mellifera à l’université du Texas.
Avec ses collègues, elle a formé un groupe de 2000 abeilles capturées dans une ruche, puis les a divisées en deux groupes. Le premier groupe a été nourri avec du sirop sucré, et le second groupe avec du sirop contenant du glyphosate en quantités similaires à celles qu’elles pourraient ingérer dans leur environnement naturel en butinant les fleurs.
Trois jours après leur retour dans la ruche, l’intestin des abeilles nourries au glyphosate contenait des niveaux plus bas d’une bactérie particulière, Snodgrassella alvi, par rapport aux abeilles non exposées.
Certains des résultats se sont révélés surprenants. Les abeilles ayant ingéré les plus fortes doses de glyphosates avaient, après trois jours, un microbiome d’apparence plus normale que les abeilles ayant ingéré des quantités moindres. Cependant, selon Moran, l’interprétation de ces observations n’est pas aisée ; il est possible que les abeilles nourries avec de plus fortes doses d’herbicide soient mortes, laissant derrière elles des abeilles avec une meilleure résistance au composé chimique.
Des tests ultérieurs ont révélé que les abeilles ayant ingéré du glyphosate possédaient cinq fois moins de Snodgrassella alvi. Dans une boîte de pétri, la plupart des souches de Snodgrassella alvi ont ralenti ou stoppé leur croissance après avoir été exposées à l’herbicide. Ces changements dans le microbiome des insectes semblent les rendre plus vulnérables aux infections mortelles.
Lors d’un test effectué sur plusieurs centaines d’abeilles, seules 12% de celles nourries au glyphosate ont survécu à l’infection par Serratia marcescens — une bactérie majoritairement présente dans les ruches et l’intestin des abeilles, provoquant des infections en se propageant dans tout l’organisme — contre 47% pour celles n’ayant pas été exposées au composé chimique.
Toutefois, les chercheurs ne savent pas encore précisément pourquoi la perturbation du microbiome intestinal par le glyphosate conduit à cette vulnérabilité aux infections.
Selon Moran, Snodgrassella alvi tapisse la paroi intestinale des abeilles, et pourrait donc jouer le rôle d’une barrière contre les infections. Il se peut également que la bactérie sécrète des enzymes attaquant les bactéries nocives. Une diminution de cette bactérie, combinée au rôle qu’elle joue dans le système intestinal des abeilles, expliquerait comment le glyphosate met les abeilles en danger.
Ces résultats s’ajoutent aux nombreux facteurs potentiels responsables du déclin généralisé des abeilles à travers le monde, selon Gene Robinson, généticien spécialiste des abeilles butineuses à l’université de l’Illinois. Les chercheurs pensent que les pesticides, les parasites, les pathogènes et des problèmes nutritionnels contribuent à la disparition des colonies d’abeilles.
L’étude pose également des questions sur l’impact du glyphosate concernant le microbiome d’autres animaux. Chez l’Homme, le microbiome intestinal est extrêmement important et possède des propriétés similaires à celui des abeilles. De futures recherches seront nécessaires, sachant que l’Homme possède un microbiome plus vaste et complexe, et qu’il est ordinairement bien moins exposé que les abeilles au glyphosate.