En 1984, afin de favoriser la concurrence sur le marché, le département américain de la Justice avait réussi à démanteler AT&T. Le géant des télécommunications avait alors dû se séparer de plusieurs de ses filiales. Quarante ans plus tard, l’histoire semble prête à se répéter. Cette fois-ci, c’est Google qui se retrouve dans le collimateur du ministère américain de la Justice (DOJ), accusé de monopoliser illégalement la recherche en ligne aux États-Unis (et ailleurs dans le monde), causant des préjudices pernicieux aux consommateurs et entreprises.
En août dernier, le géant technologique a perdu son procès contre le DOJ, après que le juge fédéral de Washington, Amit Mehta, l’a jugé coupable de monopoliser illégalement le secteur de la recherche et de la publicité en ligne. Le juge avait conclu que Google, qui enregistre quotidiennement près de 8,5 milliards de recherches, soit 90 % du marché mondial de la recherche en ligne, avait enfreint les lois antitrust. En effet, le géant a conclu des accords exclusifs avec Samsung et Apple pour que ses produits, tels que le navigateur Chrome, soient définis par défaut sur leurs smartphones et tablettes. En septembre, Google détenait d’ailleurs 94 % de la recherche en ligne sur les smartphones.
Dans le cadre de ces accords, Google s’était engagé à verser plusieurs milliards de dollars pour maintenir sa position. En 2021 par exemple, l’entreprise aurait versé une somme astronomique de 26 milliards de dollars à Apple afin de rester le navigateur par défaut sur Safari. Lors des plaidoiries, Mehta n’avait pas encore décidé de la sanction infligée à Google et aucune mesure corrective n’a été prévue lors du jugement rendu.
Cependant, le ministère américain de la Justice a déposé, ce mardi 8 octobre, un dossier judiciaire d’une trentaine de pages auprès de Mehta, contenant de potentielles « mesures structurelles » correctives. Selon le DOJ, ces changements visent à empêcher Google d’utiliser ses produits comme Chrome, le Play Store et son système d’exploitation Android, pour s’auto-conférer un avantage incontestable sur ses concurrents. Ces mesures permettraient aux autres moteurs de recherche de rivaliser. Ce document judiciaire est une version préliminaire des recommandations proposées par le DOJ. Un ensemble plus détaillé devra être soumis d’ici le 20 novembre 2024.
Parmi les mesures proposées, le DOJ suggère également d’interdire à Google de payer d’autres entreprises technologiques pour que son moteur de recherche soit préinstallé par défaut. Toutefois, une grande partie de cette décision concerne les accords que Google a conclus avec d’autres géants technologiques. Même si Mehta accepte d’appliquer cette mesure de restriction, il est fort probable que Google reste le moteur de recherche par défaut si des fabricants comme Apple ou Samsung décident de ne pas le retirer de leurs appareils. En conséquence, cela bloquerait les paiements, puisque les accords n’auraient plus lieu d’être. Pour l’heure, ni Apple ni Samsung n’ont émis de commentaire à ce sujet.
Un appel à décision : la contre-attaque de Google
Sans surprise, Google a affirmé qu’il fera appel de la décision. Dans un communiqué, Lee-Anne Mulholland, vice-présidente des affaires réglementaires de Google, a qualifié ces mesures de « radicales », ajoutant qu’elles vont « au-delà des questions juridiques spécifiques à cette affaire ». Mulholland a souligné : « Plutôt que de se concentrer sur ce point, le gouvernement semble poursuivre un programme de grande envergure qui aura un impact sur de nombreux secteurs et produits, avec des conséquences imprévues importantes pour les consommateurs, les entreprises et la compétitivité américaine ».
Mulholland a également évoqué le fait que si les fabricants avec lesquels l’entreprise a signé des accords devaient se séparer de Google, ils devraient en conséquence devenir indépendants, ce qui se traduirait par une augmentation des prix. Elle a ajouté : « Android et Chrome étant utilisés par un grand nombre de développeurs et de fabricants d’appareils dans différents secteurs – des voitures aux appareils de fitness en passant par les téléviseurs, les ordinateurs portables, les applications et bien d’autres -, tout changement pourrait avoir des répercussions sur de nombreuses entreprises et sur les personnes qui utilisent leurs services ».
En ce qui concerne Mozilla, dont Firefox utilise Google par défaut pour la recherche, l’entreprise reçoit près de 86 % de ses revenus, soit l’équivalent de 510 millions de dollars sur un chiffre d’affaires de 593 millions. Le concepteur de Firefox a mis en évidence l’impact potentiel que la mesure d’interdiction évoquée dans le document judiciaire pourrait avoir sur l’entreprise. En attendant, Mozilla a déclaré examiner de près la décision que le tribunal prendra.
Mulholland alerte également sur le danger de devoir partager ses données de recherche avec la concurrence. « Il est largement reconnu, y compris explicitement par le ministère de la Justice dans son document, que forcer le partage de vos recherches avec d’autres entreprises pourrait créer des risques majeurs pour la vie privée et la sécurité », poursuit-elle.
En attendant le nouveau procès prévu pour avril 2025, Google devra soumettre ses propositions avant le 20 décembre. Entre-temps, dans une autre affaire impliquant Google et Epic Games, le juge fédéral de Californie, James Donato, a ordonné à Google d’autoriser des boutiques d’applications concurrentes à Play Store. Le juge a également déclaré que Google devrait cesser d’exiger que son propre système de paiement soit utilisé pour les applications sur Play Store. De son côté, l’éditeur de Fortnite envisage de lancer sa boutique d’applications d’ici 2025.